mercredi 29 novembre 2017

Le livre des ombres d'Elana Oui-jamais

   En cette morne journée d'octobre, Elana et ses amies rient dans la chambre de l'adolescente. Venues passer l'après-midi, les camarades de classe de l'adolescente viennent de passer en revue les derniers potins du lycée.
- Oh, mais tu as un oui-ja...
- Pardon ? Euh, oui, je voulais le ranger mais vous êtes arrivées. répond Elana à la question de son amie, un peu gênée.
La jeune fille rougit de sa bêtise. Elle prend toujours soin de dissimuler ses centres d'intérêt ésotériques pour ne pas soulever des questions auxquelles elle n'a pas envie de répondre. Et cette planche de oui-ja n'est pas un objet à mettre à la vue de tout un chacun. Elle était en train de ranger sa chambre lorsque ses amies ont toqué à la porte ; sur le moment, elle a totalement oublié qu'elle n'avait pas rangé la boîte dédiée à la divination.
- On pourrait faire du spiritisme, ce serait marrant. insiste Maureen.
- Non, je ne pense pas... Il faisait partie d'une malette dédiée à l'art de la divination que j'ai trouvée dans une brocante. Ce oui-ja est le seul objet utilisable, le reste était en mauvais état mais je refuse de toucher à ce genre de chose. Je l'avais laissé là le temps de décider de son sort car il est hors de question que je le garde.
Elana n'ose pas dire à ses amies qu'elle a gardé les livrets explicatifs et le pendule en attendant de les tester pour voir s'ils peuvent lui être utiles. Elle ne leur a jamais parlé de son intérêt pour les arts occultes et elle ne souhaite pas s'étendre sur le sujet. Toutefois, elle note avec plaisir qu'elles ne semblent ni choquées ni inquiètes de trouver ce genre d'objet sur son bureau.

- Elana, ne fais pas ta poule mouillée ! Tu as vu trop de films d'horreur. dit Enora. Nous sommes venues toutes les trois te rendre visite mais il pleut, il faut bien qu'on trouve une occupation, non ? Et nous n'avons jamais pratiqué ce genre de choses, nous n'avons pas ce genre de matériel chez nous, allez, sois sympa. Juste cette fois-ci !
- Oui, mais pas ce genre d'activité, j'estime que c'est trop dangereux. De plus si ce genre de choses vous intéresse, il y a des choses bien plus accessibles et moins dangereuses. s'emporte Elana en se levant. Je vais me débarrasser de ce truc, c'est pour cette raison que je l'ai laissé là. Il me fait froid dans le dos et j'ai peur de ce qu'il pourrait faire entrer chez moi.
- Arrête, c'est marrant ! Cesse de faire ta froussarde, à la fin.
- Non, Enora, ce n'est pas marrant, c'est dangereux ! Et ça me fait peur ! De plus, je l'ai acheté dans une brocante, qui sait ce qu'il a vécu et d'où il provient ? Et quels ennuis, il pourrait nous apporter ?
Enervée, la jeune sorcière met le oui-ja dans un sac poubelle pour le faire disparaître de la vue de ses amies.
- Je ne sais même pas d'où il vient, à qui il appartenait. Dieu seul sait de quelles ondes, il est chargé. répéte la jeune sorcière en ramenant ses cheveux en arrière pour tenter de masquer sa nervosité. 
- Mais pourquoi l'avoir acheté ? demande alors Maureen en rejetant en arrière ses raides cheveux châtain mi-longs. Il y a un problème ?
A travers ses fines lunettes, elle observe son amie et note son malaise.
- Non, c'est juste que, comment dire ? J'ai été prise d'une impulsion, je voulais comprendre comme ça fonctionnait. Je n'ai pas réfléchi et j'ai surtout pensé à la manière de la cacher à mes parents. S'ils tombent dessus, je me demande ce que je vais pouvoir leur répondre. Mais vous ne direz rien, n'est-ce pas ? Pourrions-nous parler moins fort, je ne voudrais pas que mes parents entendent notre conversation.
Ses amies acquiescent et Elana soupire, soulagée.
- Mais depuis quand est-ce que ce genre de choses t'intéresse ? questionne Maureen en se tournant vers elle. Admets que ce n'est pas commun.
Elana hésite un instant en se mordant la lèvre avant de répondre.
- Ma grand-mère s'intéressait à ce genre de choses. Il y a peu, j'ai fouillé dans ses affaires et je suis retombée sur son matériel. Je me suis souvenue à ce moment-là qu'une part de moi avait toujours eu une attirance pour ce genre de pratiques. Et que le moment était venu pour moi de tenter de voir si ça pouvait me convenir donc en testant des choses. Mais pas ce genre d'outils de divination ; quelque chose me retient et me dicte de ne pas m'en approcher depuis toujours. En la matière, j'ai tendance à me fier à mon instinct avant tout.
- Donne-le ! insiste la svelte adolescente en se levant du tapis où les jeunes filles se sont assises. Si tu ne veux pas le garder. A moins que tu ne préfères t'en débarrasser... Mais si c'était le cas, tu l'aurais mis dans un sac poubelle depuis bien longtemps.

  Debout devant son amie, dans son pantalon de tailleur noir et avec sa chemise blanche à longues manches fermée par des boutons argentés, Elana semble plus âgée qu'elle ne l'est réellement. Silencieuse, l'adolescente réfléchit à la meilleure manière de se débarrasser au plus vite de cet objet encombrant.
- Cette chose me fait peur. répète Elana. Je...mon instinct me dit que je dois m'en débarrasser. Je sais ! Il y a un vide-grenier deux rues plus loin, je pourrais le donner avec quelques vieux livres que nous avions dû lire en cours de français, il y a une éternité.
- Allons-y dans ce cas ! Ce sera amusant. dit Maureen en se levant d'un bond. Au fait, ta pratique a eu des résultats ?
- Euh, oui, un peu mais va savoir si ça a réellement marché ou si c'est le hasard. élude Elana qui fouille dans sa bibliothèque pour mettre dans un sac les livres qu'elle ne souhaite pas garder.

  Intimidée, Elana installe ses objets sur une couverture étalée devant elle. Elle craint de reconnaître ses voisins et elle regarde autour d'elle mais elle ne reconnaît personne parmi les vendeurs. Soulagée, elle s'assied sur la couverture avec ses copines. Elles discutent de choses et d'autres, quelques livres trouvent preneur mais la boîte reste toujours en vente. Deux heures plus tard, un homme s'approche du groupe d'adolescentes et se montre intéressé par le oui-ja alors que les jeunes filles s'apprêtent à remballer leur marchandise.
- Il n'est pas maléfique ou ensorcelé au moins ? interroge-t'il avec un sourire.
- Je ne sais pas, il est neuf et je n'ai jamais osé l'utiliser. Normalement, il est tout ce qu'il y a de plus neutre mais je ne touche pas à ce genre de chose. répond l'adolescente, un peu mal à l'aise. D'un autre côté, j'imagine qu'il a été fabriqué dans une usine chinoise dont les conditions de travail sont sans doute peu reluisantes. L'objet a dû se charger d'ondes potentiellement négatives. Je ne saurais dire.
- Cinq euros, ça vous va ? Je le purifierai avant de l'utiliser, ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude de ce genre de choses.
Elana va protester qu'il est neuf mais elle songe qu'elle veut surtout s'en débarrasser et que cette occasion ne se représentera pas de sitôt. Aussi, elle tend la main pour prendre le billet en échange de l'objet. Elle regarde l'homme s'éloigner et elle achève de remballer ses affaires sans plus y penser. Au fond, c'est une meilleure solution que d'abandonner l'objet sur le banc d'un jardin public. Elle espère surtout que l'objet n'est pas chargé d'énergies  négatives et qu'il n'apportera pas des ennuis à son nouveau propriétaire.
 
 Mais aurait-il mieux valu l'abandonner dans les toilettes d'un jardin public et que n'importe qui tombe sur le ouija et l'utilise sans prendre les précautions élémentaires ? Ou le détruire ? Elle y a songé mais elle n'a pas osé le faire, aussi Elana s'est abstenue. Mais elle se sent un peu coupable d'abandonner ainsi cet objet sans connaître son devenir. D'un autre côté, elle ne pouvait pas le garder. Elle n'a jamais eu l'intention de l'utiliser et le laisser au fond d'un placard n'est pas une solution. La planche est grande et elle ne pourra pas toujours la cacher à ses parents. L'adolescente n'ose imaginer leur réaction s'ils tombent dessus un jour.
 
 Pourtant, si elle est honnête avec elle-même, elle se dit qu'elle n'a pas de raison d'avoir peur. Pourquoi un esprit maléfique pourrait lui faire du mal via une planche de oui-ja et pas au travers de ses runes ou de ses tarots ? De plus, elle n'ignore pas que ce genre d'outil de divination a autrefois été vendu comme jouet outre-atlantique. A-t'elle bien fait de suivre son intuition ou aurait-il mieux valu conserver l'objet et tenter de s'en servir sans a priori négatif ? La jeune sorcière  n'a pas de réponse à ces questions et elle sent une de ses amies qui la tire par la manche. Elle revient à la réalité, au vide-grenier et au froid glacial.
- Rentrons, j'ai froid ! J'ai fait ce que j'avais à faire, à moins que vous ne souhaitiez faire un tour ?
Ses amies souhaitent avant tout se mettre au chaud aussi les adolescentes remballent leur couverture et elles rejoignent le foyer accueillant d'Elana. Alors qu'elle prépare le thé, la jeune sorcière entend ses amies déplorer la disparition du oui-ja. Leur intérêt éveillé, elles regrettent de ne pas pouvoir tester leurs dons de divination.
- Tu crois que cette planche était si dangereuse que ça ? demande Enora en réchauffant ses mains sur la tasse de porcelaine.
- Je ne sais pas. lui répond Leslie. Mais j'aurais bien aimé essayer juste pour voir. Si ça se vend, c'est que ce n'est pas aussi dangereux que dans les films d'horreur.
- Vous croyez qu'Elana est une froussarde ? rit Maureen. Peut-être qu'elle a de bonnes raisons pour s'inquiéter, non ? Est-ce qu'elle ne nous a pas dit que sa grand-mère avait des pratiques bizarres ? Peut-être qu'elle sait des choses que nous ne savons pas...
 Elana réfléchit et elle décide de les initier à la tasséomancie, activité bien moins dangereuse à ses yeux. Peu à peu, ses amies oublient le oui-ja, trop occupées à tenter de trouver des réponses dans la lecture des feuilles de thé qui collent à la paroi de leur tasse et qui se sont déposées sur la soucoupe en porcelaine de Chine.
- Et toi, Elana, que disent tes feuilles de thé ?
Avec un sourire, Elana s'exécute puis elle laisse son esprit vagabonder alors que ses amies tentent de deviner ce qui l'attend.