jeudi 17 août 2017

Hôtel de charme particulier Chapitre 3


Les jours suivants, Ophélien reste à la réception durant la majeure partie du temps. Il lit caché derrière le comptoir lorsqu’il a peu de travail. Hormis un peu de courrier à affranchir, il passe sa journée à attendre qu’un client le demande. Ce qui n’arrive pas souvent, même s’il comprend que quelqu’un doit se montrer disponible si un client a besoin d’aide. Toutefois, il se demande bien ce qu’il fait là mais son tour du monde vaut bien ce sacrifice. Comme il n’a pas accès à internet, il lit les brochures publicitaires qui trônent sur le comptoir mais il s'en lasse vite. Elles traitent de location de vélos et de sentiers pédestres, choses qui ne l’intéressent guère. Les heures passent, monotones.
- Bonjour, monsieur Sutingocni, je peux faire quelque chose en attendant  ?
- Bonjour, Je suis vraiment navré, mais je crains que ce soit souvent le cas. Si vous avez des choses personnelles à faire, ne vous en privez pas.
Ophélien acquiesce mais il trouve dommage d’avoir un poste à plein temps dans ce cas. Au fil des jours, il termine livres dont vous êtes le héros qui l’occupent la majeure partie de la journée. Chevalier errant perdu dans des donjons sombres emplis de créatures couvertes d’écailles à la recherche d’un trésor ou pirate sillonnant les océans pour ramener des coffres cachés dans des îles couvertes de jungle, il passe des heures penché sur ses livres à vivre des aventures passionnantes en attendant la fin de son service. Lorsqu’un client se présente, il quitte à regret son univers imaginaire pour revenir à la réalité. A plusieurs reprises, Ophélien relève la tête en entendant du bruit mais le hall est désert. Il hausse les épaules, son imagination lui joue des tours et il se replonge dans sa lecture, pressé d’arriver à la fin de sa quête. Lorsqu’enfin, il parvient à la fin de son aventure, l’adolescent regarde l’heure et il soupire.
- Encore deux heures avant d’aller manger  ! Et il n’y a pas un chat. murmure-t’il pour lui-même.
Il se replonge dans son livre pour recommencer son aventure depuis le début avec d’autres objets, un nouvel itinéraire et un nouveau personnage.
Lorsqu’il revient à son poste de travail après un passage aux toilettes pour s'occuper, il retrouve ses affaires par terre. L'adolescent regarde autour de lui mais le hall semble toujours aussi désert. Il songe que dans sa précipitation, il a posé le cahier en même temps qu’il se levait de sa chaise et qu’il l'a poussé d'une manière ou d'une autre. Bientôt, il a oublié l'incident.

Un jour en début d’après-midi, il monte à sa chambre récupérer un carnet pour griffonner des notes ou gribouiller afin de passer le temps. Le réceptionniste craint de croiser son employeur dans les escaliers et de devoir lui expliquer qu’il a quitté son poste de travail sans le prévenir mais il n’en est rien. La main sur la poignée de la porte de sa chambre, il entend des grincements. Inquiet, il se demande ce qui peut bien faire ce bruit. En entrant, il remarque que les fenêtres sont grandes ouvertes et que le vent s’engouffre dans la pièce en faisant voler les rideaux. Il referme la fenêtre, trouve un carnet et un crayon puis il sort persuadé qu’il a mal fermé la fenêtre. Il redescend précipitamment les marches de bois. Essouflé, il se glisse derrière le comptoir dans le hall toujours désert. Ce n’est qu’une fois assis que le jeune garçon se rend compte que tous ses crayons sont éparpillés par terre. Il s’empresse de les ramasser en se demandant qui a pu lui faire cette farce, inquiet que son absence revienne aux oreilles de son employeur. En fin d’après-midi, alors qu’il allait quitter son poste, il va jeter une poubelle dans le local à ordures. Alors qu’il veut sortir, il se rend compte que la porte est verrouillée. Il tape de longues minutes sur la porte en métal après avoir tenté en vain de l’ouvrir. Il ne comprend pas ce qui se passe, la porte ne peut se fermer de l’intérieur qu’au moyen d’une clé. La lumière s’éteint et il ne trouve pas l’interrupteur tandis que l’odeur commence à se faire sentir.
- Même si la porte s’est refermée seule, tu peux l’ouvrir avec la clé, ne panique pas, mon vieux.
Rassuré par cette pensée, il cherche la clé dans sa poche mais dans sa précipitation, il la fait tomber sur le sol. A tâtons, il la cherche durant de longues minutes avant de la retrouver sous une poubelle. Il ne comprend pas comment elle a pu atterrir là car il ne l’a pas entendue rebondir. Soulagé, il se précipite vers la porte, il appuie sur la poignée en la cherchant à tâtons mais elle s’ouvre.
- Je ne comprends rien, elle était fermée à clé, j’en suis sûr  ! J’ai essayé de l’ouvrir plusieurs fois… se murmure Ophélien. Une fois au grand air, les mains dans les poches, il rit de sa bêtise  ; dans sa panique, il s’est cru enfermé. Pourtant, il ne peut s’empêcher de douter. Il rejoint sa chambre en courant afin de se changer, se doucher puis il range son poste de travail pour quitter ce lieu au plus vite le moment venu.
- Tout va bien  ? demande monsieur Sutingocni en le voyant arriver les joues rouges.
- Oui, j’ai juste couru.
- Bien, vous pouvez quitter votre poste, je prends la relève.
- Merci. dit-il en prenant son carnet et son crayon qui sont de nouveau tombés par terre sans raison. Sur le moment, le jeune garçon n’y prend pas garde.
Lorsqu’il entre dans sa chambre, il remarque que la fenêtre s'est de nouveau ouverte et que les rideaux gisent sur le sol. Inquiet, l’adolescent fait le tour de la pièce et se penche par la fenêtre mais il ne voit rien. Il va chercher un escabeau dans le local de ménage de l’étage situé à l’autre bout du couloir pour remettre les rideaux en place. Il craint de croiser quelqu’un et d’avouer ses soupçons ridicules, même si tout au fond de lui, il le souhaite. Il voudrait parler à quelqu’un des tours qu’on lui joue mais qui le croirait  ? Qui pourrait lui vouloir du mal  ? Il passe l’équipe puis les quelques clients en revue mais il ne voit pas qui pourrait vouloir lui faire ce genre de farces. De retour dans sa chambre, il entre sans bruit, rien n’a bougé. Avec un soupir de soulagement, il s’attelle à la tâche et bientôt, les rideaux ont repris leur place. Epuisé, il ramène l’escabeau et il s’allonge sur son lit, il doit avoir rêvé à cause de la fatigue. Dans le noir, Ophélien réfléchit  :
- Et si je suis en train de devenir fou  ? Ou je suis fatigué avec le changement de rythme et de nourriture, d’endroit  ? Toutes ces nouveautés me perturbent peut-être, je n’ai pas l’habitude d’être loin de ma famille et de mes amis. Et je suis seul sur cette île, je ne peux pas sortir quand j’en ai envie pour me changer les idées. Mais c’est ça le travail, non  ? Je suis peut-être phobique du travail  ? Je passe beaucoup de temps devant mes jeux vidéos, il est possible qu’ils me manquent, je n’ai pas l’habitude d’être aussi actif. En temps normal, je rentre des cours, je fais mes devoirs aussi vite que possible pour ne pas avoir de problèmes avec mes parents et je joue sur ma console toute la soirée. Je n’ai pas touché une console depuis mon arrivée, sans doute que cela me bouleverse. Et puis, cette vieille baraque pleine de poussière, on ne peut pas respirer, il n’y a pas de lumière, cela ne m'aide pas. Je fais peut-être un début de dépression  ? Oui, je dois avoir des amnésies de courte durée, je fais des choses et les oublie. De toutes façons, cet emploi m'est nécessaire pour réaliser mon rêve. Ce n’est pas bien grave, un peu de fatigue et mon imagination qui me jouent des tours, rien de plus.
Rassuré, l’adolescent se change et se glisse sous les draps. Apaisé, il dort d’un sommeil sans rêve.

Le lendemain matin, il se lève en retard, il n’a pas entendu son réveil ou il l'a oublié. Il prend une douche froide avant d’aller petit-déjeuner dans la cuisine réservée au personnel qui est vide. Après s’être ébouillanté avec son thé, il se glisse derrière le comptoir, une longue journée monotone commence. En milieu de matinée, un couple âgé vient le trouver pour des brochures sur la location de vélo. Ophélien les fait tomber derrière lui en s’excusant de sa maladresse. Alors qu’il se relève, la petite lampe de la réception s’éteint, il n’y prend pas garde mais lorsque les clients sont partis, il examine la lampe qu’il trouve débranchée alors qu’il aurait juré que le hall était presque désert et qu’il n’a pas ôté la prise. Lorsqu’il la rebranche, la lampe s'allume. Troublé, le jeune garçon cherche une explication satisfaisante, il finit par penser qu’en se débranchant l’interrupteur de la lampe a changé de position sans qu’il le remarque, peut-être qu’il a heurté le sol plus violemment qu’il ne le pensait. Le reste de la journée s’écoule sans incident. Lorsque le directeur vient le remplacer à midi, l’adolescent se sent soulagé de quitter son poste. Il lui a semblé entendre les parquets craquer à plusieurs reprises dans le hall vide.

En début d’après-midi, un client vient se plaindre que ses toilettes fonctionnent mal. Ophélien prévient l’employé chargé de l’entretien qui tarde à venir. Pour meubler le silence, il discute avec son interlocuteur.
- Elles font des bruits la nuit et des odeurs nauséabondes montent régulièrement.
- Du bruit  ?
- Elles semblent chuchoter dans le noir et ça ne vient pas de gouttes d’eau. Ca ne me dérange pas, ça fait partie du charme de cet endroit unique dans la région. Mais depuis ce matin, la chasse d’eau a des problèmes. Et cela devient vraiment gênant, vous comprenez  ? Vous travaillez ici, vous savez de quoi je parle  !
Ophélien acquiesce, il ne sait pas quoi répondre. Une fois qu'il est parti avec l’homme d’entretien, l’agent d’accueil se remet à son poste.
- Ce client n’a pas l’air net, il doit avoir un problème. songe-t’il.
Monsieur Sutingocni vient le trouver pour lui demander de l’aide. Une tempête est annoncée et ils doivent rapidement fermer tous les volets de l’hôtel et avertir les clients de faire de même. Ils se partagent les tâches, chacun est en charge d’un étage, Ophélien hérite du deuxième étage car il y a moins de clients.
- Si la porte est fermée, vous frappez, un client peut avoir fermé la porte à clé. Vous pensez bien à annoncer «  Personnel de l’hôtel  », vous attendez une minute puis vous dites «  Je rentre  !  » et vous ouvrez avec la clé passe-partout que voici, ne la perdez pas. Vous enclenchez bien le loquet des volets et surtout vous n’oubliez pas celui de la salle de bain. Il y a neuf chambres par étage. Vous prenez un étage, je m’occupe des sous-sols et du grenier où se trouvent vos chambres. Compris  ?
Le jeune garçon hoche la tête, il n’est jamais allé dans les étages, il est curieux de s'y rendre.

Ophélien commence à frapper aux portes, les clients se montrent ravis de cette attention et ils lui assurent tous faire le nécessaire. Dans une chambre vide, Ophélien entend du bruit dans la salle de bain, il ne voit pas de bagages mais il se dit qu'il s'agit d'un maniaque du rangement ou qu’il termine son bagage dans la salle de bain. Il trouve le robinet ouvert. Il pense qu’un employé chargé du ménage a oublié de le refermer mais en entrant de nouveau dans la chambre, il entend le lit craquer comme si quelqu’un venait de le quitter. Après avoir jeté un regard au lit vide, il sort le coeur battant. Il se rend alors compte qu’il a oublié de fermer les volets. Lorsqu’il rentre, il se tourne vers le lit sans réfléchir mais il ne voit rien.
- Ce lit est vieux, c’est le bois qui travaille. songe le jeune garçon.

- C’est bon, j’ai fait le nécessaire  !
- Merci, Ophélien. Il faut encore que tout reste en l’état. Si les volets s’ouvraient par exemple… dit son employeur qu’il a rejoint dans le hall.
- Je ne pense pas que les clients braveront la tempête… Ils ont compris le danger.
- Je ne parlais pas d’eux, il arrive parfois que je doive remplacer des carreaux après une tempête. Venez, nous avons encore du travail. Nous devons préparer un stock de bougies au cas où et prévoir des couvertures supplémentaires dans le salon si les clients veulent s’y réunir. Allez donc allumer un feu dans la cheminée.
Bien qu’il ignore comment faire, l’adolescent obtempère. Il met des bûches dans l’âtre et il craque une allumette pour l’enflammer. La bûche ne prend pas et la flamme commence à diminuer. Le réceptionniste commence à souffler dessus quand une vieille femme lui fait remarquer qu’il y a un soufflet.
- Merci madame  ! dit-il sans se retourner pour masquer la rougeur qui envahit ses joues, un peu confus de son manque d’observation.
Lorsqu’il se retourne, elle a disparu. Ophélien regarde à droite et à gauche mais il ne la voit pas, le craquement d’une bûche le ramène à la réalité. Il attise le feu et se poste près de la fenêtre pour écouter le vent hurler au-dehors. Son employeur le trouve dans cette position quelques minutes plus tard.
- Ophélien  ? Nous avons du travail. Prenez des bougies et des couvertures dans la réserve. Et des allumettes également. Il manquera des coussins pour mettre sur les tapis par terre et à dresser un buffet froid. Aidez-moi donc à déplacer la table, nous allons la mettre dans un coin pour le buffet, nous gagnerons de la place.
Peu après, les quelques clients de l’hôtel sont réunis dans le hall, ils bavardent et font connaissance. Les rires fusent et les conversations se croisent. Les employés s’assoient également sur le sol et ils s’assurent que les clients ne manquent de rien. A la lueur d’une lampe torche, ils multiplient les allers-retours pour fournir eau, nourriture et bougies. Bientôt, les rires et les conversations emplissent la pièce. Ophélien remarque que des crayons tombent des tables sans raison apparente mais les personnes proches les remettent sur les tables en riant. Les lumières s’allument et s’éteignent à plusieurs reprises, les parquets grincent mais personne n’y prend garde. Le jeune garçon met ses observations sur le manque de lumière, la fatigue et le stress, il doit rêver et il commence à songer à consulter un psychiatre en rentrant chez lui. Deux heures plus tard, tout le monde va se coucher, la tempête a diminué et la fatigue l’emporte.

Après une nuit paisible, Ophélien se réveille en sursaut, il n’a pas entendu son réveil. Mais il se ravise, il a oublié queil est en congé. Une heure plus tard, il n’est pas parvenu à se rendormir. Un peu dépité, il se prépare pour prendre son petit-déjeuner alors que l’horloge sonne huit heures. Devant son chocolat au lait, il a du mal à ouvrir les yeux. Maggiorino le remarque et le taquine sur ses éventuelles activités nocturnes. L'adolescent hausse les épaules puis il décide d’aller se promener sur l’île car il n’a rien d’autre à faire. En passant devant l’accueil, il salue monsieur Sutingocni qui lui fait signe de venir le voir.
- Bonjour  ! Où ai-je mis cette enveloppe. Attendez une minute que je la retrouve.
- Bonjour  !
-Tenez  ! Les pourboires sont distribués environ une fois par semaine, ça vous fera de l’argent de poche.
- Merci  !
- Passez une bonne journée  ! Et si vous comptez rentrer tard, dites-le moi que je vous donne une clé pour passer par l’arrière.
- Je veux bien une clé, au cas où…
- Tenez, vous n’oublierez pas de me la rendre. Signez ici, ça me permet de savoir où elles se trouvent.
Après une matinée à errer sans but sur l’île, Ophélien revient déjeuner à l’hôtel. Il retourne dans sa chambre mais il s’ennuie, il hésite à aller dans le grand salon où une télévision est installée. Toutefois, il n’a pas envie de se retrouver au milieu des clients. Il ressort en début d’après-midi avec l’idée de faire des photos souvenir. Il en fait quelques unes dans sa chambre et dans les couloirs de l’hôtel avant de se lasser. Il lit de nouveau un peu et il sort de sa chambre pour trouver une idée de sortie quand il voit une ombre blanche arriver vers lui. Effrayé par cette hallucination, Ophélien prend son argent et il quitte l'hôtel avec précipitation. En stop, il rejoint la plus grande ville de l’île, heureux de retrouver une ville normale. Il se paie une crème glacée au chocolat pour visiter longuement les lieux avant d’aller au cinéma voir le dernier film d’action à la mode. Il est déjà tard mais il ne sent pas pressé de rentrer après ce qu'il a vu. Même si après réflexion, il est certain d'avoir rêvé.
- Salut  ! Tu as l’air perdu  !
- Non, pas du tout.
- Pardon, moi, c’est Julie et je suis avec mes amis Laureline et Kevin. Tu es un touriste, toi  ?
- Oui, je travaille à l’hôtel Tasmant pour l’été.
- Tu travailles avec ce vieux fou  dans cette baraque délabrée? s’exclame la jeune fille qui semble avoir son âge. Ses yeux bleus et ses cheveux blonds ondulés qui atteignent ses épaules lui donnent un air innocent et fragile.
- L’hôtel est très connu sur l’île. On allait en boîte de nuit, si ça te tente. continue-t'elle.
- Je peux rentrer en jean  ? demande Ophélien.
- Tu ne nous as pas vus  ! dit Laureline en riant. Ici, nous sommes sur une petite île!
Ophélien remarque seulement la tenue de ses nouveaux amis. La jeune fille brune aux cheveux courts et son amie sont vêtues d’un mini-short en jean élimé et d’un débardeur multicolore, tandis que leur ami, un jeune garçon bien bâti aux yeux noisette et aux cheveux mi-longs châtain porte un bermuda et un tee-shirt à l’effigie d’un groupe de métal ou de rock. Ophélien estime que son jean, son long tee-shirt noir et ses baskets feront l’affaire.
- Viens, c’est quoi ton non  ? demande Laureline.
- Ophélien, mais je ne dois pas rentrer tard, je travaille demain.
- On te ramènera en scooter, t’inquiète. On a un casque en plus.
Il accepte pour oublier ses hallucinations et ne pas rester seul, malgré ses craintes. Dans la petite boîte de nuit où ils entrent sans problème, la musique est forte et il perd rapidement ses nouveaux amis dans la foule. Il danse seul sur la piste au milieu d’inconnus sur une musique qu’il ne connaît pas pour passer le temps puis il tente de retrouver le groupe, en vain. Il fait plusieurs fois le tour de la boîte sans succès. Dépité, il finit par les chercher dehors avant de se décider à rentrer à pied ou en stop.
- Ils auraient pu m’attendre quand même  ! Ou ils ont profité de mon innocence pour me jouer un tour  ! Peut-être que ça les amusait de se moquer du touriste que je suis  !
Les mains les poches, en colère contre les adolescents qui l’ont mené en boîte pour l’y abandonner, il shoote dans les cailloux pour passer sa rage. Espérant se calmer, il va voir la mer qu’il entend au loin. Un peu apaisé, il mesure alors le temps qu’il va lui falloir pour rentrer à l’hôtel. En outre, dans la nuit, il n’est plus très sûr de parvenir à retrouver son chemin. La nuit s’annonce courte et il décide de suivre la route. Par chance, deux phares l’éclairent bientôt.

- Tu es au milieu de la route, fais attention. Tu n’es pas d’ici, toi  ! Sinon, tu saurais que c'est dangereux, il y a souvent des accidents dans ce virage. dit une voix aimable à côté de lui.
- Non, je suis perdu.
- Tu vas où  ?
- A l’hôtel Tasmant.
- En pleine nuit  ? Tu n’as pas peur, toi  !
- Je travaille là-bas pour l’été.
- Je vois  ! Monte, je te dépose, ce n’est pas loin en camionnette.
- Merci.
La jeune femme guère plus âgée que lui inspire confiance à Ophélien. Vêtue d’une robe de plage blanche brodée de fleur au fil doré et argenté, ses cheveux blonds et ses yeux verts dégagent une impression de douceur d’un autre siècle.
- Je connais bien cet hôtel, j’y suis souvent allée l’été pour tirer les cartes aux occupants.
- Tu es une sorcière  ?
La jeune femme rit.
- Non, j’ai certains dons de divination et je communique avec les esprits. Cet hôtel est le lieu idéal pour ça. Je m’appelle Jenny, au fait. Mais mon vrai métier, c’est bibliothécaire. Il y a une petite bibliothèque près de la mairie, je vois tout le monde passer, il n’y a pas beaucoup de loisirs sur l’île, j’imagine que tu l’as remarqué  ! dit-elle en riant de nouveau. Bref, les gens viennent souvent se ravitailler en livres, on parle de leurs lectures, je finis par connaître un peu tout le monde. Je suis arrivée sur l’île, il y a trois ans, un peu par hasard. Je voulais changer de vie et quitter la ville. Tu travailles à l’hôtel pour l’été  ?
- Oui, je prépare un tour du monde avec des amis, j’ai besoin d’argent pour ce projet. J’ai pris ce que j’ai trouvé, même si cet endroit est bizarre.
- Oui, ce vieil hôtel a quelque chose d'étrange et c’est pour ça que les gens y viennent. Les gens de l’île n’aiment pas cet hôtel, il y a des choses qui ne se font pas.
- Monsieur Sutingocni n’est pas d’ici  ?
- Oui et non. Sa famille est arrivée d’Italie sur l’île il y a un bon siècle de ça, ils ont acheté la vieille bâtisse à leur arrivée sur l’île, c’était à la mode à l’époque, les gens venaient. Depuis, l’affaire se transmet de génération en génération. Le fils du vieux Sutingocni fait des études sur le continent pour reprendre l’affaire.
- Il est marié  ? Je pensais que c'était un solitaire.
- Il l’a été. Et tu as raison, c'est un un solitaire. Bref, s’ils étaient d’ici, ils sauraient que certaines choses ne se font pas  ! On est arrivés. Ravi de t’avoir rencontré.
La jeune fille le regarde d’un air interrogateur qui met l’adolescent mal à l’aise.
- C’est là que tu es supposé me dire comment tu t’appelles…
- Ophélien, pardon, je suis fatigué.
- Ravie de t’avoir rencontré, Ophélien. dit Jenny en redémarrant après qu’il soit descendu.

   L’adolescent rentre et il finit par s’écrouler sur son lit sans même se déshabiller. Quelques heures plus tard, le réveil sonne, il est moins fatigué qu'il le craignait même s'il a fait de mauvais rêves.