Les
jours suivants, Ophélien reste à la réception durant la majeure
partie du temps. Il lit caché derrière le comptoir lorsqu’il a
peu de travail. Hormis un peu de courrier à affranchir, il passe sa
journée à attendre qu’un client le demande. Ce qui n’arrive pas
souvent, même s’il comprend que quelqu’un doit se montrer
disponible si un client a besoin d’aide. Toutefois, il se demande
bien ce qu’il fait là mais son tour du monde vaut bien ce
sacrifice. Comme il n’a pas accès à internet, il lit les
brochures publicitaires qui trônent sur le comptoir mais il s'en
lasse vite. Elles traitent de location de vélos et de sentiers
pédestres, choses qui ne l’intéressent guère. Les heures
passent, monotones.
-
Bonjour, monsieur Sutingocni, je peux faire quelque chose en
attendant ?
-
Bonjour, Je suis vraiment navré, mais je crains que ce soit souvent
le cas. Si vous avez des choses personnelles à faire, ne vous en
privez pas.
Ophélien
acquiesce mais il trouve dommage d’avoir un poste à plein temps
dans ce cas. Au fil des jours, il termine livres dont vous êtes le
héros qui l’occupent la majeure partie de la journée. Chevalier
errant perdu dans des donjons sombres emplis de créatures couvertes
d’écailles à la recherche d’un trésor ou pirate sillonnant les
océans pour ramener des coffres cachés dans des îles couvertes de
jungle, il passe des heures penché sur ses livres à vivre des
aventures passionnantes en attendant la fin de son service. Lorsqu’un
client se présente, il quitte à regret son univers imaginaire pour
revenir à la réalité. A plusieurs reprises, Ophélien relève la
tête en entendant du bruit mais le hall est désert. Il hausse les
épaules, son imagination lui joue des tours et il se replonge dans
sa lecture, pressé d’arriver à la fin de sa quête. Lorsqu’enfin,
il parvient à la fin de son aventure, l’adolescent regarde l’heure
et il soupire.
-
Encore deux heures avant d’aller manger ! Et il n’y a pas
un chat. murmure-t’il pour lui-même.
Il
se replonge dans son livre pour recommencer son aventure depuis le
début avec d’autres objets, un nouvel itinéraire et un nouveau
personnage.
Lorsqu’il
revient à son poste de travail après un passage aux toilettes pour
s'occuper, il retrouve ses affaires par terre. L'adolescent regarde
autour de lui mais le hall semble toujours aussi désert. Il songe
que dans sa précipitation, il a posé le cahier en même temps qu’il
se levait de sa chaise et qu’il l'a poussé d'une manière ou d'une
autre. Bientôt, il a oublié l'incident.
Un
jour en début d’après-midi, il monte à sa chambre récupérer un
carnet pour griffonner des notes ou gribouiller afin de passer le
temps. Le réceptionniste craint de croiser son employeur dans les
escaliers et de devoir lui expliquer qu’il a quitté son poste de
travail sans le prévenir mais il n’en est rien. La main sur la
poignée de la porte de sa chambre, il entend des grincements.
Inquiet, il se demande ce qui peut bien faire ce bruit. En entrant,
il remarque que les fenêtres sont grandes ouvertes et que le vent
s’engouffre dans la pièce en faisant voler les rideaux. Il referme
la fenêtre, trouve un carnet et un crayon puis il sort persuadé
qu’il a mal fermé la fenêtre. Il redescend précipitamment les
marches de bois. Essouflé, il se glisse derrière le comptoir dans
le hall toujours désert. Ce n’est qu’une fois assis que le jeune
garçon se rend compte que tous ses crayons sont éparpillés par
terre. Il s’empresse de les ramasser en se demandant qui a pu lui
faire cette farce, inquiet que son absence revienne aux oreilles de
son employeur. En fin d’après-midi, alors qu’il allait quitter
son poste, il va jeter une poubelle dans le local à ordures. Alors
qu’il veut sortir, il se rend compte que la porte est verrouillée.
Il tape de longues minutes sur la porte en métal après avoir tenté
en vain de l’ouvrir. Il ne comprend pas ce qui se passe, la porte
ne peut se fermer de l’intérieur qu’au moyen d’une clé. La
lumière s’éteint et il ne trouve pas l’interrupteur tandis que
l’odeur commence à se faire sentir.
-
Même si la porte s’est refermée seule, tu peux l’ouvrir avec la
clé, ne panique pas, mon vieux.
Rassuré
par cette pensée, il cherche la clé dans sa poche mais dans sa
précipitation, il la fait tomber sur le sol. A tâtons, il la
cherche durant de longues minutes avant de la retrouver sous une
poubelle. Il ne comprend pas comment elle a pu atterrir là car il ne
l’a pas entendue rebondir. Soulagé, il se précipite vers la
porte, il appuie sur la poignée en la cherchant à tâtons mais elle
s’ouvre.
-
Je ne comprends rien, elle était fermée à clé, j’en suis sûr
! J’ai essayé de l’ouvrir plusieurs fois… se murmure Ophélien.
Une fois au grand air, les mains dans les poches, il rit de sa
bêtise ; dans sa panique, il s’est cru enfermé. Pourtant,
il ne peut s’empêcher de douter. Il rejoint sa chambre en courant
afin de se changer, se doucher puis il range son poste de travail
pour quitter ce lieu au plus vite le moment venu.
-
Tout va bien ? demande monsieur Sutingocni en le voyant arriver
les joues rouges.
-
Oui, j’ai juste couru.
-
Bien, vous pouvez quitter votre poste, je prends la relève.
-
Merci. dit-il en prenant son carnet et son crayon qui sont de nouveau
tombés par terre sans raison. Sur le moment, le jeune garçon n’y
prend pas garde.
Lorsqu’il
entre dans sa chambre, il remarque que la fenêtre s'est de nouveau
ouverte et que les rideaux gisent sur le sol. Inquiet, l’adolescent
fait le tour de la pièce et se penche par la fenêtre mais il ne
voit rien. Il va chercher un escabeau dans le local de ménage de
l’étage situé à l’autre bout du couloir pour remettre les
rideaux en place. Il craint de croiser quelqu’un et d’avouer ses
soupçons ridicules, même si tout au fond de lui, il le souhaite. Il
voudrait parler à quelqu’un des tours qu’on lui joue mais qui le
croirait ? Qui pourrait lui vouloir du mal ? Il passe
l’équipe puis les quelques clients en revue mais il ne voit pas
qui pourrait vouloir lui faire ce genre de farces. De retour dans sa
chambre, il entre sans bruit, rien n’a bougé. Avec un soupir de
soulagement, il s’attelle à la tâche et bientôt, les rideaux ont
repris leur place. Epuisé, il ramène l’escabeau et il s’allonge
sur son lit, il doit avoir rêvé à cause de la fatigue. Dans le
noir, Ophélien réfléchit :
-
Et si je suis en train de devenir fou ? Ou je suis fatigué
avec le changement de rythme et de nourriture, d’endroit ?
Toutes ces nouveautés me perturbent peut-être, je n’ai pas
l’habitude d’être loin de ma famille et de mes amis. Et je suis
seul sur cette île, je ne peux pas sortir quand j’en ai envie pour
me changer les idées. Mais c’est ça le travail, non ? Je
suis peut-être phobique du travail ? Je passe beaucoup de
temps devant mes jeux vidéos, il est possible qu’ils me manquent,
je n’ai pas l’habitude d’être aussi actif. En temps normal, je
rentre des cours, je fais mes devoirs aussi vite que possible pour ne
pas avoir de problèmes avec mes parents et je joue sur ma console
toute la soirée. Je n’ai pas touché une console depuis mon
arrivée, sans doute que cela me bouleverse. Et puis, cette vieille
baraque pleine de poussière, on ne peut pas respirer, il n’y a pas
de lumière, cela ne m'aide pas. Je fais peut-être un début de
dépression ? Oui, je dois avoir des amnésies de courte durée,
je fais des choses et les oublie. De toutes façons, cet emploi m'est
nécessaire pour réaliser mon rêve. Ce n’est pas bien grave, un
peu de fatigue et mon imagination qui me jouent des tours, rien de
plus.
Rassuré,
l’adolescent se change et se glisse sous les draps. Apaisé, il
dort d’un sommeil sans rêve.
Le
lendemain matin, il se lève en retard, il n’a pas entendu son
réveil ou il l'a oublié. Il prend une douche froide avant d’aller
petit-déjeuner dans la cuisine réservée au personnel qui est vide.
Après s’être ébouillanté avec son thé, il se glisse derrière
le comptoir, une longue journée monotone commence. En milieu de
matinée, un couple âgé vient le trouver pour des brochures sur la
location de vélo. Ophélien les fait tomber derrière lui en
s’excusant de sa maladresse. Alors qu’il se relève, la petite
lampe de la réception s’éteint, il n’y prend pas garde mais
lorsque les clients sont partis, il examine la lampe qu’il trouve
débranchée alors qu’il aurait juré que le hall était presque
désert et qu’il n’a pas ôté la prise. Lorsqu’il la
rebranche, la lampe s'allume. Troublé, le jeune garçon cherche une
explication satisfaisante, il finit par penser qu’en se débranchant
l’interrupteur de la lampe a changé de position sans qu’il le
remarque, peut-être qu’il a heurté le sol plus violemment qu’il
ne le pensait. Le reste de la journée s’écoule sans incident.
Lorsque le directeur vient le remplacer à midi, l’adolescent se
sent soulagé de quitter son poste. Il lui a semblé entendre les
parquets craquer à plusieurs reprises dans le hall vide.
En
début d’après-midi, un client vient se plaindre que ses toilettes
fonctionnent mal. Ophélien prévient l’employé chargé de
l’entretien qui tarde à venir. Pour meubler le silence, il discute
avec son interlocuteur.
-
Elles font des bruits la nuit et des odeurs nauséabondes montent
régulièrement.
-
Du bruit ?
-
Elles semblent chuchoter dans le noir et ça ne vient pas de gouttes
d’eau. Ca ne me dérange pas, ça fait partie du charme de cet
endroit unique dans la région. Mais depuis ce matin, la chasse d’eau
a des problèmes. Et cela devient vraiment gênant, vous comprenez
? Vous travaillez ici, vous savez de quoi je parle !
Ophélien
acquiesce, il ne sait pas quoi répondre. Une fois qu'il est parti
avec l’homme d’entretien, l’agent d’accueil se remet à son
poste.
-
Ce client n’a pas l’air net, il doit avoir un problème.
songe-t’il.
Monsieur
Sutingocni vient le trouver pour lui demander de l’aide. Une
tempête est annoncée et ils doivent rapidement fermer tous les
volets de l’hôtel et avertir les clients de faire de même. Ils se
partagent les tâches, chacun est en charge d’un étage, Ophélien
hérite du deuxième étage car il y a moins de clients.
-
Si la porte est fermée, vous frappez, un client peut avoir fermé la
porte à clé. Vous pensez bien à annoncer « Personnel de
l’hôtel », vous attendez une minute puis vous dites «
Je rentre ! » et vous ouvrez avec la clé passe-partout
que voici, ne la perdez pas. Vous enclenchez bien le loquet des
volets et surtout vous n’oubliez pas celui de la salle de bain. Il
y a neuf chambres par étage. Vous prenez un étage, je m’occupe
des sous-sols et du grenier où se trouvent vos chambres. Compris
?
Le
jeune garçon hoche la tête, il n’est jamais allé dans les
étages, il est curieux de s'y rendre.
Ophélien
commence à frapper aux portes, les clients se montrent ravis de
cette attention et ils lui assurent tous faire le nécessaire. Dans
une chambre vide, Ophélien entend du bruit dans la salle de bain, il
ne voit pas de bagages mais il se dit qu'il s'agit d'un maniaque du
rangement ou qu’il termine son bagage dans la salle de bain. Il
trouve le robinet ouvert. Il pense qu’un employé chargé du ménage
a oublié de le refermer mais en entrant de nouveau dans la chambre,
il entend le lit craquer comme si quelqu’un venait de le quitter.
Après avoir jeté un regard au lit vide, il sort le coeur battant.
Il se rend alors compte qu’il a oublié de fermer les volets.
Lorsqu’il rentre, il se tourne vers le lit sans réfléchir mais il
ne voit rien.
-
Ce lit est vieux, c’est le bois qui travaille. songe le jeune
garçon.
-
C’est bon, j’ai fait le nécessaire !
-
Merci, Ophélien. Il faut encore que tout reste en l’état. Si les
volets s’ouvraient par exemple… dit son employeur qu’il a
rejoint dans le hall.
-
Je ne pense pas que les clients braveront la tempête… Ils ont
compris le danger.
-
Je ne parlais pas d’eux, il arrive parfois que je doive remplacer
des carreaux après une tempête. Venez, nous avons encore du
travail. Nous devons préparer un stock de bougies au cas où et
prévoir des couvertures supplémentaires dans le salon si les
clients veulent s’y réunir. Allez donc allumer un feu dans la
cheminée.
Bien
qu’il ignore comment faire, l’adolescent obtempère. Il met des
bûches dans l’âtre et il craque une allumette pour l’enflammer.
La bûche ne prend pas et la flamme commence à diminuer. Le
réceptionniste commence à souffler dessus quand une vieille femme
lui fait remarquer qu’il y a un soufflet.
-
Merci madame ! dit-il sans se retourner pour masquer la rougeur
qui envahit ses joues, un peu confus de son manque d’observation.
Lorsqu’il
se retourne, elle a disparu. Ophélien regarde à droite et à gauche
mais il ne la voit pas, le craquement d’une bûche le ramène à la
réalité. Il attise le feu et se poste près de la fenêtre pour
écouter le vent hurler au-dehors. Son employeur le trouve dans cette
position quelques minutes plus tard.
-
Ophélien ? Nous avons du travail. Prenez des bougies et des
couvertures dans la réserve. Et des allumettes également. Il
manquera des coussins pour mettre sur les tapis par terre et à
dresser un buffet froid. Aidez-moi donc à déplacer la table, nous
allons la mettre dans un coin pour le buffet, nous gagnerons de la
place.
Peu
après, les quelques clients de l’hôtel sont réunis dans le hall,
ils bavardent et font connaissance. Les rires fusent et les
conversations se croisent. Les employés s’assoient également sur
le sol et ils s’assurent que les clients ne manquent de rien. A la
lueur d’une lampe torche, ils multiplient les allers-retours pour
fournir eau, nourriture et bougies. Bientôt, les rires et les
conversations emplissent la pièce. Ophélien remarque que des
crayons tombent des tables sans raison apparente mais les personnes
proches les remettent sur les tables en riant. Les lumières
s’allument et s’éteignent à plusieurs reprises, les parquets
grincent mais personne n’y prend garde. Le jeune garçon met ses
observations sur le manque de lumière, la fatigue et le stress, il
doit rêver et il commence à songer à consulter un psychiatre en
rentrant chez lui. Deux heures plus tard, tout le monde va se
coucher, la tempête a diminué et la fatigue l’emporte.
Après
une nuit paisible, Ophélien se réveille en sursaut, il n’a pas
entendu son réveil. Mais il se ravise, il a oublié queil est en
congé. Une heure plus tard, il n’est pas parvenu à se rendormir.
Un peu dépité, il se prépare pour prendre son petit-déjeuner
alors que l’horloge sonne huit heures. Devant son chocolat au lait,
il a du mal à ouvrir les yeux. Maggiorino le remarque et le taquine
sur ses éventuelles activités nocturnes. L'adolescent hausse les
épaules puis il décide d’aller se promener sur l’île car il
n’a rien d’autre à faire. En passant devant l’accueil, il
salue monsieur Sutingocni qui lui fait signe de venir le voir.
-
Bonjour ! Où ai-je mis cette enveloppe. Attendez une minute
que je la retrouve.
-
Bonjour !
-Tenez
! Les pourboires sont distribués environ une fois par semaine, ça
vous fera de l’argent de poche.
-
Merci !
-
Passez une bonne journée ! Et si vous comptez rentrer tard,
dites-le moi que je vous donne une clé pour passer par l’arrière.
-
Je veux bien une clé, au cas où…
-
Tenez, vous n’oublierez pas de me la rendre. Signez ici, ça me
permet de savoir où elles se trouvent.
Après
une matinée à errer sans but sur l’île, Ophélien revient
déjeuner à l’hôtel. Il retourne dans sa chambre mais il
s’ennuie, il hésite à aller dans le grand salon où une
télévision est installée. Toutefois, il n’a pas envie de se
retrouver au milieu des clients. Il ressort en début d’après-midi
avec l’idée de faire des photos souvenir. Il en fait quelques unes
dans sa chambre et dans les couloirs de l’hôtel avant de se
lasser. Il lit de nouveau un peu et il sort de sa chambre pour
trouver une idée de sortie quand il voit une ombre blanche arriver
vers lui. Effrayé par cette hallucination, Ophélien prend son
argent et il quitte l'hôtel avec précipitation. En stop, il rejoint
la plus grande ville de l’île, heureux de retrouver une ville
normale. Il se paie une crème glacée au chocolat pour visiter
longuement les lieux avant d’aller au cinéma voir le dernier film
d’action à la mode. Il est déjà tard mais il ne sent pas pressé
de rentrer après ce qu'il a vu. Même si après réflexion, il est
certain d'avoir rêvé.
-
Salut ! Tu as l’air perdu !
-
Non, pas du tout.
-
Pardon, moi, c’est Julie et je suis avec mes amis Laureline et
Kevin. Tu es un touriste, toi ?
-
Oui, je travaille à l’hôtel Tasmant pour l’été.
-
Tu travailles avec ce vieux fou dans cette baraque délabrée?
s’exclame la jeune fille qui semble avoir son âge. Ses yeux bleus
et ses cheveux blonds ondulés qui atteignent ses épaules lui
donnent un air innocent et fragile.
-
L’hôtel est très connu sur l’île. On allait en boîte de nuit,
si ça te tente. continue-t'elle.
-
Je peux rentrer en jean ? demande Ophélien.
-
Tu ne nous as pas vus ! dit Laureline en riant. Ici, nous
sommes sur une petite île!
Ophélien
remarque seulement la tenue de ses nouveaux amis. La jeune fille
brune aux cheveux courts et son amie sont vêtues d’un mini-short
en jean élimé et d’un débardeur multicolore, tandis que leur
ami, un jeune garçon bien bâti aux yeux noisette et aux cheveux
mi-longs châtain porte un bermuda et un tee-shirt à l’effigie
d’un groupe de métal ou de rock. Ophélien estime que son jean,
son long tee-shirt noir et ses baskets feront l’affaire.
-
Viens, c’est quoi ton non ? demande Laureline.
-
Ophélien, mais je ne dois pas rentrer tard, je travaille demain.
-
On te ramènera en scooter, t’inquiète. On a un casque en plus.
Il
accepte pour oublier ses hallucinations et ne pas rester seul, malgré
ses craintes. Dans la petite boîte de nuit où ils entrent sans
problème, la musique est forte et il perd rapidement ses nouveaux
amis dans la foule. Il danse seul sur la piste au milieu d’inconnus
sur une musique qu’il ne connaît pas pour passer le temps puis il
tente de retrouver le groupe, en vain. Il fait plusieurs fois le tour
de la boîte sans succès. Dépité, il finit par les chercher dehors
avant de se décider à rentrer à pied ou en stop.
-
Ils auraient pu m’attendre quand même ! Ou ils ont profité
de mon innocence pour me jouer un tour ! Peut-être que ça les
amusait de se moquer du touriste que je suis !
Les
mains les poches, en colère contre les adolescents qui l’ont mené
en boîte pour l’y abandonner, il shoote dans les cailloux pour
passer sa rage. Espérant se calmer, il va voir la mer qu’il entend
au loin. Un peu apaisé, il mesure alors le temps qu’il va lui
falloir pour rentrer à l’hôtel. En outre, dans la nuit, il n’est
plus très sûr de parvenir à retrouver son chemin. La nuit
s’annonce courte et il décide de suivre la route. Par chance, deux
phares l’éclairent bientôt.
-
Tu es au milieu de la route, fais attention. Tu n’es pas d’ici,
toi ! Sinon, tu saurais que c'est dangereux, il y a souvent des
accidents dans ce virage. dit une voix aimable à côté de lui.
-
Non, je suis perdu.
-
Tu vas où ?
-
A l’hôtel Tasmant.
-
En pleine nuit ? Tu n’as pas peur, toi !
-
Je travaille là-bas pour l’été.
-
Je vois ! Monte, je te dépose, ce n’est pas loin en
camionnette.
-
Merci.
La
jeune femme guère plus âgée que lui inspire confiance à Ophélien.
Vêtue d’une robe de plage blanche brodée de fleur au fil doré et
argenté, ses cheveux blonds et ses yeux verts dégagent une
impression de douceur d’un autre siècle.
-
Je connais bien cet hôtel, j’y suis souvent allée l’été pour
tirer les cartes aux occupants.
-
Tu es une sorcière ?
La
jeune femme rit.
-
Non, j’ai certains dons de divination et je communique avec les
esprits. Cet hôtel est le lieu idéal pour ça. Je m’appelle
Jenny, au fait. Mais mon vrai métier, c’est bibliothécaire. Il y
a une petite bibliothèque près de la mairie, je vois tout le monde
passer, il n’y a pas beaucoup de loisirs sur l’île, j’imagine
que tu l’as remarqué ! dit-elle en riant de nouveau. Bref,
les gens viennent souvent se ravitailler en livres, on parle de leurs
lectures, je finis par connaître un peu tout le monde. Je suis
arrivée sur l’île, il y a trois ans, un peu par hasard. Je
voulais changer de vie et quitter la ville. Tu travailles à l’hôtel
pour l’été ?
-
Oui, je prépare un tour du monde avec des amis, j’ai besoin
d’argent pour ce projet. J’ai pris ce que j’ai trouvé, même
si cet endroit est bizarre.
-
Oui, ce vieil hôtel a quelque chose d'étrange et c’est pour ça
que les gens y viennent. Les gens de l’île n’aiment pas cet
hôtel, il y a des choses qui ne se font pas.
-
Monsieur Sutingocni n’est pas d’ici ?
-
Oui et non. Sa famille est arrivée d’Italie sur l’île il y a un
bon siècle de ça, ils ont acheté la vieille bâtisse à leur
arrivée sur l’île, c’était à la mode à l’époque, les gens
venaient. Depuis, l’affaire se transmet de génération en
génération. Le fils du vieux Sutingocni fait des études sur le
continent pour reprendre l’affaire.
-
Il est marié ? Je pensais que c'était un solitaire.
-
Il l’a été. Et tu as raison, c'est un un solitaire. Bref, s’ils
étaient d’ici, ils sauraient que certaines choses ne se font pas
! On est arrivés. Ravi de t’avoir rencontré.
La
jeune fille le regarde d’un air interrogateur qui met l’adolescent
mal à l’aise.
-
C’est là que tu es supposé me dire comment tu t’appelles…
-
Ophélien, pardon, je suis fatigué.
-
Ravie de t’avoir rencontré, Ophélien. dit Jenny en redémarrant
après qu’il soit descendu.
L’adolescent
rentre et il finit par s’écrouler sur son lit sans même se
déshabiller. Quelques heures plus tard, le réveil sonne, il est
moins fatigué qu'il le craignait même s'il a fait de mauvais rêves.