jeudi 31 août 2017

L'encre du livre des ombres

  Le sorcier écrit dans son livre des ombres à la lueur d'une chandelle. Sa grande plume blanche crisse sur le vélin mais il reste concentré sur sa tâche. Fatigué, les yeux qui commencent à voir trouble, le vieil homme décide de laisser son activité en suspens. La plume roule sur le papier et dans sa chute perd quelques gouttes d'encre qui viennent se poser sur l'illustration d'un ancien sortilège, maintes fois raturé. Les gouttes trempent la page, lentement. Le dessin trouve son point final par ce heureux hasard. Lorsque le sorcier revient dans la pièce, stupéfait, il se trouve face à un démon noir aux longues ailes de peau brune.
- Tu m'as invoqué, me voici !

mercredi 30 août 2017

Poupée nostalgique

La poupée dans sa robe de soie
Lève les yeux vers la lune.
Une étoile filante illumine le ciel
Et elle murmure :
«  Moi, pantin vêtu de soie
Du crépuscule à l'aurore,
Je voudrais voler sur un rayon de lune
Avec la mouette et le corbeau
Telle une colombe
Et dans ma folie
Vivre enfin,
Loin des rêveries enfantines,
Libre. »

mardi 29 août 2017

La porte secrète


   Louise du haut de ses huit ans observe la pièce où elle vient de pénétrer. Son oncle, vieux professeur grincheux, lui interdit d'y entrer mais il a précipitamment quitté la maison sans lui prêter attention ou lui dire au revoir. La petite fille a erré quelques minutes dans les couloirs de la grande demeure sombre avant de remarquer la porte ouverte.

   Elle se retrouve dans un jardin où une jeune fille en robe rouge s'évente malgré le vent qui souffle en emportant ses longs cheveux roux dans son sillage. Elle se tourne vers la petite fille avec un sourire puis sans unmot, elle se lève et se dirige vers une maison que Louise n'avait pas remarquée. Ne sachant que faire, Louise suit la jeune fille qui marche lentement vers son but. Autour d'elles, tout est silencieux et la petite fille n'ose pas briser le calme environnant. Enfin, elles entrent dans la minuscule maison au toit de tuiles rouges qui contrastent avec le blanc aveuglant des murs.
- Bonjour, petite fille ! murmure l'inconnue d'une voix douce.
- Bonjour madame ! répond Louise.
- Tu as passé la porte secrète qui mène vers mon monde, ton oncle la connaît bien, il vient souvent me rendre visite mais je ne lui fais jamais le moindre mal.
- Pourquoi ?
- Parce que sa chair est trop dure pour être mangée. dit la femme en riant.
Son rire cristallin monte dans l'air tandis que Louise, interdite, est paralysée par la peur. La femme profitant de son moment de faiblesse lui tranche la gorge d'une lame aiguisée qu'elle tire de son corsage.


lundi 28 août 2017

Hôtel de charme particulier Epilogue

  Dans la chambre, les draps se soulèvent et les rideaux tombent. Un ricanement s’élève dans la pièce et les membres de la famille réunie dans cette grande chambre tentent de masquer leur peur, même si au fond, ils sont ravis de ces manifestations. La publicité qui les a menés en ce lieu ne mentait pas, il est hanté et les fantômes sont actifs.
 
  Dans son bureau, le gérant met à jour le site internet de l’hôtel avec la liste des dernières manifestations et les derniers clichés fournis par les clients. Il repense à Ophélien, comme cela lui arrive souvent, il se pose toujours la même question qui ne trouve pas de réponse:  comment aurait-il pu imaginer qu’il n’était pas au courant, qu’il n’avait pas été sur le site internet de l’hôtel avant de poser sa candidature  ? Tous ses employés sont friands de manifestations paranormales, ils viennent pour cela dans son établissement Au fil des années, il a négligé de leur demander les motivations qu’il sait essentiellement dictées par l’attrait des manifestations qui troublent le calme apparent de l’hôtel. De plus, il veille à toujours leur fournir une brochure touristique, comment imaginer que cet adolescent un peu rêveur ne se serait pas arrêté sur la page consacrée à l’hôtel  ? Et puis, il n'arrive pas à croire qu'il n'a pas fouillé l'ordinateur, il laisse toujours une copie des dossiers relatifs aux apparitions documentées par les clients. Cela occupe ses employés d'accueil qui peuvent s'ennuyer et se montrer curieux.

  Nostalgique, monsieur Sutingocni fouille dans les archives de l’hôtel, il relit de vieilles coupures de journaux. Il pense au fantôme de l'hôtel et au livre qu'Ophélien a oublié de chercher dans la bibliothèque. Un horrible meurtre a eu lieu dans la demeure et les maîtres de maison ainsi que leurs familles et leurs domestiques ont été victime d'un tueur sanguinaire qui n'a jamais été retrouvé quelques siècles plus tôt. Puis, il ouvre le livre que lui a envoyé Ophélien, il remarque qu'il lui est dédicacé et il sourit à l'idée que les évènements ont peut-être aidé le fragile adolescent à trouver son chemin. Il se promet de le mettre en avant sur le site internet de l'hôtel, il lui doit bien cela.

dimanche 27 août 2017

Hôtel de charme particulier Chapitre 10

  A partir de ce jour, Ophélien guette les signes qu’il a voulu négliger et il remarque une foule de choses. Des odeurs étranges traversent parfois furtivement le hall même s'il y a des clients. Il lui semble voir passer des ombres sur les fenêtres et des objets se déplacent. Il le remarque maintenant qu’il y  prête attention  : les rideaux de l’accueil ou ses crayons changent de place lorsqu’il s’absente, il retrouve ses crayons ou son cahier par terre à maintes reprises. De plus, il sent parfois des odeurs étranges lorsqu’il traverse les pièces  : effluves de cigares, parfums de prix ou encore odeurs de nourriture l’assaillent maintenant qu’il y prête attention.

  Le pire reste la nuit, Ophélien entend le vieux bois grincer, quelque chose gratte parfois très légèrement à sa porte et il imagine la chose qui se trouve de l’autre côté. Recroquevillé sous ses draps, il est hanté par l’idée que la chose puisse finir par traverser la porte. Mais elle finit toujours par s’éloigner d’un pas léger qui fait grincer le parquet de couloir. Soulagé, Ophélien sait qu’il peut dormir tranquille jusqu’au matin, la chose ne reviendra pas. Parfois il attend sa visite durant de longues heures d’angoisse avant de s'endormir, épuisé. Il suppose qu'il s'agit du spectre d'un chien de grande taille qui avait l'habitude de dormir devant la porte car il ne voit pas quelle créature pourrait avoir des griffes et un pas lourd. 

  Lorsqu'il n'est pas trop fatigué, il lit les livres qu'il a acheté armé d'un dictionnaire car le roman policier qu'il a choisi, bien que plaisant, utilise un vocabulaire dont l'adolescent habitué aux bandes dessinées et aux jeux vidéo n'a pas l'habitude.
- La jeune fille contadine aux cheveux mordorés et aux yeux turquins avait pour habitude de baguenauder tout le jour dans la campagne environnante. Les feuilles mordorées craquaient sous ses pieds nus lorsqu'elle courait, sa longue jupe relevée pour voler parmi les fleurs. Automne du haut de ses seize ans fuyait les labours pour se perdre dans les bois de l'aurore au crépuscule.
Pourtant, il s'est laissé prendre par l'histoire, même s'il a dû faire l'acquisition d'un dictionnaire pour terminer son roman. Parfois, le jeune réceptionniste se demande où est l'Ophélien qui ne lisait que des bandes dessinées et passait sa journée sur des jeux vidéo.

  Dans son journal, Ophélien a commencé à relater tout ce qui s'est passé depuis le début de son contrat pour ne rien oublier et garder une preuve de toute cette histoire. Comme il sait qu'il ne peut pas voir de psychiatre et qu'il a besoin de cet argent pour réaliser ses rêves et se prouver qu'il n'est pas un raté, il espère parvenir à tenir jusqu'à la fin de son contrat et se persuader qu'il ne risque rien. Après tout, monsieur Sutingocni vit dans l'hôtel à l'année et les clients ne fuient pas l'hôtel en masse. Plus il s'enfonce dans ses souvenirs plus il lui semble évident que malgré les blagues douteuses dont il a été victime, il n'a jamais été physiquement en danger ce qui le rassure.

  Ce jour-là, Ophélien se trouve à son poste comme de coutume et il s'ennuie. Il lit son livre derrière le comptoir et lorsque son employeur vient le voir comme tous les matins, il lui fait la réflexion qu'il a bonne mine et qu'il semble avoir changé de lecture. L'adolescent rosit et il marmonne qu'en effet, il avait besoin de changement. Soudain, tous les prospectus qui se trouvent sur le comptoir tombent par terre et monsieur Sutingocni lève les yeux au ciel avant de demander son aide à Ophélien qui masque un soupir.
- Ils sont en forme ce matin  ! dit le gérant en entamant son tri.
- J'espère que non. marmonne Ophélien à voix basse.
Le reste de la journée est ponctué d'évènements mineurs qui mettent l'adolescent à cran. A plusieurs reprises , ses crayons tombent à terre, les fenêtres s'ouvrent l'obligeant à aller les refermer d'autant plus que le temps est gris et froid et la lampe du bureau s'allume à plusieurs reprises.
A midi, Ophélien excédé hurle aux fantômes de cesser leurs bêtises, il travaille et a besoin de calme. Aussitôt, tout redevient paisible et le réceptionniste range la pièce en espérant être tranquille pour le reste de la journée. Il se plaint à Maggiorino de sa matinée difficile et le cuisinier lui dit qu'il en a également fait les frais et qu'il a bien agi en se montrant ferme. L'après-midi est paisible et Ophélien continue à écrire le récit de son séjour dans son journal pour s'occuper.

  Un peu inquiet, il rejoint sa chambre le soir venu mais tout lui semble calme et il passe une nuit paisible. Il craignait que les ectoplasmes ne se vengent de son coup de colère mais il n'en est rien.
Il s'éveille épuisé, le lendemain matin mais il sourit en remarquant le beau soleil au-dehors et qu'il n'est pas en retard. De plus, il est en congé.
- Tenez, Ophélien, voici vos pourboires. Vous allez bien  ? Vous êtes tout pâle et vos yeux sont cernés. Il y a un bon médecin sur l'île, vous savez. s'inquiète monsieur Sutingocni lorsqu'il le croise dans le hall.
- Merci mais ça ira.
- Prenez soin de vous.
Ophélien sort, la nuit a été difficile, quelque chose a gratté à sa porte et des odeurs d'égouts et de chair putréfiées ont envahi ses narines à plusieurs reprises durant la nuit. De plus, il lui a semblé qu'on le touchait à plusieurs reprises.

  L'adolescent décide d'aller chercher les photographies qu'il a mises à développer pour se changer les idées. Lorsqu'il les regarde, il remarque des ombres et traces sur ses photos. Mais ce qui l'interpelle le plus, ce sont les objets en lévitation derrière lui qu'il voit dans le miroir.
- Mince, j'ai la preuve qu'il y a vraiment quelque chose  !
Un frisson le parcourt tandis que de la sueur coule le long de son dos. Il range avec soin les photographies dans son sac en se demande ce qu'il pourrait bien en faire.
  Lorsqu'il revient à l'hôtel après une journée à  la plage, il commence à avoir une petite idée mais il hésite.
- Vous avez passé une bonne journée  ? demande le directeur lorsqu'il entre dans le hall.
- Oui.
- Pourriez-vous m'aider à descendre ces cartons à la cave  ? Ce serait gentil, même si je sais que c'est votre jour de congé et que je ne devrais pas vous le demander.
- Pas de souci! répond le jeune garçon en posant son sac. 
Ils descendent les marches de pierre et Ophélien songe aussitôt à un caveau. Il ne s'agit pas réélement d'une cave mais d'une série de galeries au plafond bas taillées dans une pierre blanche; le tout est éclairé par des ampoules trop faibles pour permettre d'y voir correctement. L'adolescent regarde alentour, étonné car il ne soupçonnait pas qu'un tel réseau de galerie se trouvait sous ses pieds.
- C'est grand, en effet. Un jour, peut-être que j'y ferai aménager une salle pour des soirées mais la clientèle actuelle est plutôt âgée comme vous l'avez remarqué. Mais si un jour des jeunes s'intéressent à mon hôtel, peut-être que ce lieu deviendra une boîte de nuit, qui sait  ?
Ophélien hausse les épaules car il ne sait que répondre. Alors qu'ils vont remonter, la lumière s'éteint et monsieur Sutingocni tâtonne à la recherche de la poignée de porte durant d'interminables secondes. Il trouve l'interrupteur mais il ne fonctionne pas.
- Ce n'est rien. Les fantômes sont facétieux, il faut savoir se montrer patients avec eux.
- Mouais, j'avoue en avoir marre de ces conneries. marmonne l'adolescent en s'asseyant sur les marches de l'escalier.
- Vous pouvez partir, vous le savez. Il faut prendre cela à la rigolade, cela égaie le quotidien.
- Mouais. Quasiment à la fin de mon contrat, ce serait dommage quand même.
- Je sais, pour moi aussi... Nous devons nous montrer patients, ils finiront par se lasser. Et qui sait, peut-être que votre séjour ici vous laissera un bon souvenir...
- Peut-être bien mais dans très très longtemps. marmonne le réceptionniste boudeur avant de se replonger dans le silence. 

  Une demie-heure plus tard, la porte s'ouvre enfin avec un déclic. Ils remontent puis le gérant s'excuse devant l'air renfrogné de son employé. Celui-ci répond par un sourire forcé avant de s'enfermer dans sa chambre pour lire et continuer à rédiger les souvenirs de son séjour.
  La nuit venue, Ophélien rêve qu'il est enfermé dans une pièce sans porte dans le noir et que des choses le frôlent. A plusieurs reprises, il se réveille en sursaut mais tout semble calme autour de lui.
- Courage, il ne te reste que dix jours à tenir! se murmure-t'il en s'endormant. 
  Le lendemain, Ophélien se réveille tôt mais il se souvient qu'il est en congé et il tente de se rendormir. Une heure plus tard, il entend la porte de sa chambre grincer et il se relève pour allumer la lumière. Pris de panique, il se lève précipitamment mais tout semble calme.

Extrait du journal intime d'Ophélien  :
Jour 51
Je commence à m'habituer à ces choses mais d'un autre côté ma raison me lâche peu à peu. Mais il serait dommage de  lâcher si près du but.
 
  Lorsqu'il descend prendre son petit-déjeuner, l'adolescent entend  une musique de bal sortir du salon. Il est encore très tôt et les lieux sont déserts et silencieux. La curiosité devient plus forte que la peur mais il ne remarque rien d'anormal hormis la musique qu'égrène le piano qui semble animé d'une vie propre. Avec précaution, il sort sans bruit.
Ophélien décide de profiter du beau temps pour sortir. Il envisage d'explorer les environs de l'hôtel mais la lande le lasse rapidement, elle est monotone et il ne remarque rien d'intéressant. Il finit par joindre Jenny qui n'est pas disponible ce jour-là mais qui propose de le retrouver en fin de journée. Désoeuvré, Ophélien prend le bus pour rejoindre la ville qu'il commence à connaître et il passe la journée à  explorer les commerces pour s'occuper. Il parvient à joindre Jade rapidement mais il n'ose pas lui parler des âmes qui hantent l'hôtel pour ne pas l'inquiéter. Il envoie une carte postale à ses parents avant de se rendre à la plage où il s'allonge sur le sable chaud et s'endort. Lorsqu'il retrouve son amie le soir venu, ils dînent dans leur restaurant habituels en devisant de tout et de rien. Cette journée lui remonte le moral et il revient à l'hôtel en sifflotant avec maladresse.
 
 Cette nuit-là, le vent gémit et fait battre les volets, il dort mal et dans ses rêves, il voit des ombres danser dans la grande salle au son du piano.
 
  Dix jours plus tard, vers la fin de l’été, Ophélien va chercher le cahier des commandes de vin dans la cave de l’hôtel. Il n’y est jamais allé mais il en attendu parler. C’est une immense cave souterraine où des tonneaux et des bouteilles parfois vieilles de plus d’un siècle et très chères côtoient des vins plus contemporains ainsi que des alcools rares venus des quatre coins du monde. Depuis un siècle, ce choix vertigineux d’alcools de toutes sortes fait la réputation de l’hôtel. Même si tout le monde a vanté à Ophélien la beauté de la cave, il se sent apeuré à l’idée de s’y rendre depuis qu’il sait que des choses étranges se passent dans ce lieu chargé d’histoire. Il était à l’accueil, seul, et monsieur Sutingocni, pressé, lui a demandé d’y aller car il devait se rendre à un rendez-vous pour lequel il était déjà en retard. Il ne pouvait refuser et le jeune garçon s’est bientôt retrouvé à descendre une à une les marches, transi de peur. Il tente de se raisonner, il n'y a rien de plus dans cette pièce qu'ailleurs dans l'hôtel mais il ne parvient pas à se défaise de son malaise. Dans la cave silencieuse, éclairée par des néons qui diffusent une lumière crue, il se rassure, le lieu est propre et bien éclairé, il lui faut juste traverser la cave pour trouver ce qu’il cherche. Il court au fond de la pièce vers le bureau qui contient le cahier qu’il convoite. Nerveux, il bataille durant de longues minutes avec les tiroirs rouillés mais il parvient à ouvrir le bon tiroir et à trouver le cahier. Le jeune homme s’apprête à remonter, soulagé, lorsqu’il entend un bruit derrière lui, comme si quelqu’un traînait des pieds. Il se fige les sens aux aguets mais il n'entend qu'un murmure indistinct qui lui donne la chair de poule. Les pas se rapprochent et Ophélien retrouve l’usage de ses jambes, il se rapproche lentement de l’entrée de la cave.
- Bonjour, j'ai trouvé ce que je cherchais. Euh, bonne journée. dit-il avec un timide sourire.
Soudain le fantôme lui prend le poignet et le serre à le broyer avant de se matérialiser en une brume blanchâtre. Le jeune réceptionniste se met à hurler, empli de terreur. Il tente de se dégager mais le spectre le tient dans sa serre glacée en ricanant. Il ne pensait pas que les spectres s'attaqueraient aussi directement à lui. D’un geste brusque, Ophélien tente de se dégager par surprise et l’apparition le lâche dans un rire. Le jeune homme bascule en arrière et sa tête vient heurter les marches. Le rire démoniaque emplit l’espace puis s’éteint.
 
 Lorsqu’Ophélien ouvre les yeux, il voit des spectres qui l’entourent de toutes parts. Il fuit en hurlant en traversant le hall vide avant de rejoindre la lande. Il erre sur les chemins étroits durant de longues heures pendant lesquelles il tente de remettre ses idées en place, voir des choses étranges lui était déjà difficile mais voir un vrai fantôme était au-dessus de ses forces. Il est retrouvé quelques heures plus tard par Jenny partie à sa recherche avec monsieur Sutingocni, hagard et les yeux fous. Il prétend voir des spectres partout autour de lui et qu’ils lui murmurent sans cesse des choses. Jenny le ramène chez elle afin de l'éloigner de l'hôtel tandis que son employeur prévient les gendarmes partis à sa recherche qu'ils ont retrouvé l'adolescent. Dans son hôtel hanté, monsieur Sutingocni hausse les épaules et quelques jours plus tard, il ajoute les articles relatifs à la disparition de son jeune employé dans les archives de la bibliothèque que les clients aiment consulter. Les clients affluent depuis les derniers évènements, friands de paranormal, ils sont ravis de ces manifestations.
Lorsque les parents d’Ophélien récupèrent ses effets personnels, ils sont intrigués par les images découvertes dans son appareil photographique. Ils voient sur chaque cliché pris dans et à proximité de l’hôtel des ombres et des taches étranges.

Extrait du journal intime d'Ophélien
J 60
Je savais depuis le début qu'il y avait quelque chose de pas net dans cet hôtel mais j'ai voulu l'ignorer pour ne pas devenir totalement fou. Pourtant, peu à peu, je me suis habitué à l'idée. Mais plus je m'habituais à l'idée, plus je tentais de faire comme si de rien n'était et de me persuader que tout ceci n'était que le fruit de mon imagination. J'ai fini par y croire et par repousser mes limites pour me montrer courageux. J'avais réussi à me prouver que je ne suis pas Ophélien-la-mauviette jusqu'à ce que je vois de mes propres yeux les choses qui vivent dans l'hôtel. Je pouvais les supporter tant que je ne les voyais pas mais les voir les a rendues encore plus réelles. Je ne veux pas savoir que je suis entouré de fantômes et de quelles autres créatures encore. Tout ceci me fait peur et je veux croire que mon âme trouvera le repos après ma mort comme toutes les âmes d'ailleurs. Je suis très triste pour elles. Ce matin à mon réveil, j'avais des bleus, comme des traces de doigts autour de mon bras, comme si on l'avait serré très fort dans mon sommeil.
Et je voulais réaliser mon rêve, me prouver et prouver à mes parents que je ne suis pas un raté et une mauviette. Je suis fier de moi, j'ai réussi à dépasser mes peurs. Même si j'ai dû aller au-delà de mes limites.
 


Les poings sur les hanches, l’homme arpente la pièce.
- Vous lui avez fait une peur bleue et avez-vous seulement pensé à ma réputation  ?
- Mais tes affaires vont mieux marcher, non  ? Nous t’avons fait de la publicité  ! dit une voix aigüe de petite fille.
- Oh, quelle publicité  ! Je rends  mes employés fous et je ne les informe pas du genre d’établissement que je tiens.
- Mais il s’en remettra, tu verras. Une fois le choc passé, il finira par accepter la situation. rétorque une voix de baryton d’un ton traînant.
- Justement, non  ! Et ses parents veulent me rencontrer pour comprendre ce que je lui ai fait. Je vous demande de rester tranquilles et de ne pas vous manifester. reprend l’homme qui fait le tour de la pièce, les mains dans les poches.
- C’est entièrement de ta faute, tu aurais dû l’informer de notre présence. dit une dame distinguée qui tourne lentement sa cuillère dans une tasse de thé.
- Je pensais qu’il était au courant  ! hurle l’homme dans la solitude de son bureau. Comment ai-je pu être assez stupide pour croire qu’il ignorait dans quel type d’établissement il postulait  ? 
- Ne t’énerve pas comme ça. reprend la dame distinguée qui s’avance dans sa sévère robe grise. C’est de sa faute, il aurait dû se renseigner.
- Non, c’est de ma faute, j’aurais dû lui dire la vérité. Pourtant, j’étais certain qu’il savait où il mettait les pieds. Ils le savent tous et lui, si jeune et si naïf.
- Tu lui trouveras un remplaçant, ne te tourmente pas ainsi. dit la vieille dame en buvant un peu de thé.
- En plus d’être morts, vous souffrez d’amnésie ou quoi  ? J’ai oublié de lui dire que ce lieu était hanté par vous. Ce jeune garçon n’a rien fait pour mériter cela. Vous auriez dû le laisser tranquille et venir me voir, ce n'est pas comme si les clients qui adorent les frissons manquaient ici. dit le pauvre homme en pleurant.

  Un silence de mort plane dans le bureau. La voix de baryton s’élève de nouveau  :
- Ce qui est fait est fait, nous n’avons pas de baguette de sorcier pour remonter le temps. Nous devons aller de l’avant, les accidents arrivent. Ce jeune homme a été imprudent, il aurait dû en parler lorsque que nous avons commencé à le tourmenter. Nous aimons faire des blagues, il en a fait les frais comme tout le monde ici. Nous ne pouvions pas deviner qu’il était si fragile et délicat. D'ailleurs, il ne nous a jamais dit d'arrêter...
L’homme médite ces paroles en silence. Son interlocuteur n’a pas tort, si son employé avait évoqué ses difficultés, ils n’en seraient pas là. L’homme s’essuie les yeux et se redresse. Il songe au jeune homme si prometteur qui vient de les quitter mais il se reprend.
- Les domestiques, ce n’est plus ce que c’était à mon époque. dit la vieille dame en sirotant sa tasse de thé. A mon époque, quelqu’un aurait parlé, nous l’aurions aidé à aller mieux.
- Les temps ont changé Elisabeth, les employés sont facilement impressionnables et on ne parle pas de ce genre de chose. Heureusement que tu ne l’as pas arrosé de thé brûlant cette fois-ci.
- Tu parles de nous, un peu de retenue. Ce n’est pas parce que tu es le seul être vivant dans cette pièce que tu dois manquer de respect à tes aînés. dit la vieille femme en continuant à savourer sa tasse de thé. Il s’en remettra avec le temps, tu verras. Ce n’est pas bien grave, il retrouvera certainement sa lucidité avec le temps. J’ai besoin de me dégourdir les jambes. Allons troubler le sommeil de tes invités.

   Monsieur Sutingocni n’a pas le temps de réagir qu’il est déjà seul. Il se sert un verre de cognac et il médite, assis à son bureau. Comment expliquer à ces fantômes que les vivants n’apprécient pas toujours leur compagnie et qu’ils en ont parfois si peur qu’ils refusent de croire à leur existence  ? Avec un nouveau soupir, l’homme se ressert un verre de cognac. Il allume un cigare et il ouvre la fenêtre. Du balcon, il voit la mer et il pense à l'employé qu’il a perdu récemment, si jeune, emporté par la folie parce qu’il n’a pas pu croire à l’impossible ni osé en parler.
  Ophélien se remet peu à peu dans les semaines qui suivent. Il a renoncé à son tour du monde pour le moment et il est finalement retourné en cours avec un suivi psychologique renforcé pour évacuer ce qu'il a vécu. Au fond de lui, il a fini par admettre que c'est une bonne chose. Confronté à ses peurs, l'adolescent peu sûr de lui qui se réfugie dans les jeux vidéos fait peu à peu place à un jeune garçon épanoui et plein de rêves, avide de découvertes.

  Un jour, chez son psychiatre, Ophélien arrive enfin à la conclusion de son suivi psychiatrique, il est en paix avec lui-même.
- Je savais tout au fond de moi que cet hôtel est hanté mais une partie de moi refusait de l'admettre et tentait de rationnaliser ce qui m'arrivait pour se persuader que les fantômes n'existent pas. Il était plus vivable pour moi de me croire fou, cela peut se soigner. Si je me mettais à croire à l'existence des fantômes après ce que j'avais vécu, je ne pouvais pas revenir en arrière. Car si les fantômes existent, qui sait quelles créatures existent dans notre monde, bien plus dangereuses. Des vampires, des loups-garou ou pire? Mais je dois vivre car j'ai aussi appris combien la vie est précieuse et qu'il faut vivre ses rêves. Merci de m'avoir écouté et de m'avoir aidé à aller mieux. J'ai au moins compris que vivre dans la peur est inutile, il faut seulement vivre.
Avec un sourire, Ophélien tend la main au médecin et quitte la pièce.

  Un matin qu'il range sa chambre, à quelques jours de son retour au lycée, il tombe sur les photographies qu'il a prises dans sa chambre et dans les couloirs de l’hôtel que sa mère avait fait développé un mois auparavant. Il remarque des taches blanchâtres derrière lui, il a une preuve concrète que des fantômes existent. Avec réticence, il sort son journal intime et il le relit jusque tard le soir. Le lendemain, il achète un cahier et une clé usb puis il commence à recopier son journal intime et rassembler ses souvenirs. Soir après soir, il raconte son histoire et il revisite les évènements de cet été-là. Six mois après cet été désastreux, l'adolescent se laisse convaincre par sa meilleure amie d'entamer leur tour du monde aussitôt leur baccalauréat en poche, il espère retrouver la paix mais les souvenirs le hantent; peu à peu, il reprend son journal intime et il continue d'écrire sur cette histoire. Ils partent un matin de juillet juste après les résultats de leurs examens malgré l'inquiétude de leurs parents qu'ils ont mis au courant au dernier moment. Durant une année, ils sillonnent la planète, vivent d'emplois précaires et rencontrent de nombreuses personnes dont certaines rassurent Ophélien, il n'est pas le seul à avoir vu des spectres, ils font partie du monde invisible qui les entourent. Peu à peu, le jeune homme s'apaise.

  Un an plus tard, il rentre enfin chez ses parents, heureux de le voir quelque peu apaisé, il a terminé le récit de cet été si particulier et il sort un livre qui rencontre suffisamment de succès pour lui permettre de ne jamais travailler de sa vie s'il le souhaite, ce qui est son souhait car il a développé une phobie du travail qu'il ne parvient pas à surmonter. Il en envoit un exemplaire dédicacé à monsieur Sutingocni qui sourit au souvenir du jeune adolescent timide qu'il a embauché l'été précédent.

samedi 26 août 2017

Hôtel de charme particulier Chapitre 9

 La nuit suivante, Ophélien se sent observé à plusieurs reprises. Il entend des coups dans le mur de sa chambre, il se réveille en hurlant et il ne peut nier l’existence de marques sur le plâtre. Il examine longuement ses mains, craignant être l'auteur des coups mais ses mains sont intactes. Le lendemain matin, très tôt, il se rend dans le salon désert pour ranger des livres sur la région qu’il a emprunté. Il range les livres dans la bibliothèque du salon puis prend de nouveaux ouvrages. Les bras chargés, il fait tomber ses livres de surprise. Les meubles ont bougé durant le court moment qu'il a passé le dos tourné. Il déglutit, inspire, range les livres et fuit la pièce en courant.
    - Cet hôtel est hanté, Ophélien mais tu n'as rien à craindre. tente-t'il de se rassurer.
    
     Après s'être habillé et avoir pris son petit-déjeuner, il se souvient qu'il est en congés. Lorsqu'il croise monsieur Sutingocni, comme de coutume, il lui distribue sa part de pourboires. Heureux de quitter l'hôtel, Ophélien se demande ce qu'il pourrait faire lorsqu'il se rend compte qu'il pleut. En pestant, il rentre se changer avec l'espoir de ne pas trouver ses affaires éparpillées dans sa chambre mais il n'en est rien. Il hésite à ressortir mais rester dans l'hôtel lui donne la chair de poule. Aussi, il décide d'affronter la pluie.
    Après ue longue attente et un morne trajet en bus, la pluie s'est intensifiée. Dépité, l'adolescent se dirige vers le cinéma où il choisit le film le plus long même s'il ne l'intéresse guère. Il espère que les trois heures et quart de film lui assureront un répit bienvenu. En grignotant ses pop-corn, il se fait la réflexion que les vieux films ont leur charme et qu'il devrait s'intéresser à autre chose que ses films de science-fiction habituels, il pourrait faire de belles trouvailles avec un peu de chance.
    
     En quittant le cinéma, il calcule qu'il lui reste encore trois semaines de contrat et qu'il ferait bien de trouver à s'occuper le soir et ses jours de congés. Après avoir compté son maigre argent de poche, il décide de s'acheter quelques livres. Une demie-heure plus tard, Ophélien sort avec un romain policier et un roman fantastique; d'ordinaire, il ne lit que des bandes dessinées mais il n'a rien trouvé dans la librairie qui soit dans son budget. Par dépit, il s'est rabattu sur les succès de l'été en promotion pour ne pas mourir d'ennui d'ici la fin de son contrat.
    
     Après une longue hésitation, Ophélien décide de rentrer à l'hôtel, il commence à faire froid, il n'a rien à faire et il n'a pas déjeuné. Dans le bus, il frissonne à l'idée des choses étranges qui pourraient lui arriver mais il est bien décidé à surmonter sa peur. Au fond, ce ne sont que des coïncidences, il ne voit pas d'explication rationnelle à ce qui lui arrive. Et s'il a songé un bref moment à la piste du surnaturel, il n'y croit pas et il n'a trouvé aucun indice à ce sujet.
    Il déjeune rapidement dans la cuisine déserte avant de remonter dans sa chambre où à son grand soulagement, tout semble en ordre. Il appelle ses parents pour donner des nouvelles et il se plonge dans sa lecture jusqu'au soir. Il délaisse à regret son livre lorsque vient l'heure de dîner, il n'a pas vu le temps passer. Il s'endort rassuré par cette journée normale.
    
     Monsieur Sutingocni organise un pique-nique le lendemain afin de permettre aux clients de faire connaissance; ravies, les clients de l’hôtel s’y rendent en bavardant entre eux. Alors qu’Ophélien, ravi de changer de tâches, apporte des plateaux chargés de mini-sandwiches en un ballet continu, il entend un bruit de piano dans la bibliothèque. Intrigué, il s’y rend, son plateau dans les mains. Il le pose sur une console puis il fait le tour de la pièce. La musique continue de s’élever, il est certain qu’elle vient de la pièce où il se trouve. La musique s’interrompt et le jeune garçon s’empresse de porter son plateau au jardin. Plus tard, il s’isole et il cherche l’origine de la musique, il n’y a aucun piano dans la pièce, elle était vide et il ne pense pas qu’il s’agissait d’un enregistrement. Pourtant, il ne parvient pas à croire que les fantômes existent. Son costume noir et sa chemise le serrent, il se rend aux toilettes pour respirer un peu et s'asperger d'eau.
    - Tiens bon, mon vieux, ce n'est rien du tout.
    Il retourne dans la cuisine chercher un plateau de mini sandwich et il en grignote un à la hâte pour se remettre de ses émotions.
    
     Plusieurs fois les jours suivants, il lui semble voir des traces d’empreintes de pieds nus sur le sol au bas de son lit. Ophélien se dit que ce ne sont que les traces de ses pieds nus lorsqu’il s’est levé le matin qui demeurent incrusté dans le parquet qui n'est peut-être pas très propre. De même, parfois, il remarque des traces sur le carrelage de la salle de bain qui lui semblent tenir un peu trop dans le temps. Mais il met ce phénomène sur le compte du vieux parquet de l’hôtel pour se rassurer.
    
     Un matin, Ophélien se réveille en sursaut. Un coup dans le mur juste à côté de lui l'a réveillé. Il regarde son réveil, il est cinq heures du matin et il ne lui reste qu'une heure avant de se lever. Avec un soupir, il se lève et il remarque des traces sur le mur qu'il ne sait pas comment cacher.
    Inquiet, il va en parler à son patron dès qu'il prend son poste.
    - Vraiment  ? Je vais aller voir.
    Honteux à l'idée de ses habits qui traînent un peu partout, Ophélien le suit. L'homme n'y prend pas garde et il examine le mur sans rien remarquer.
    - Il n'y a plus rien, ne vous inquiétez pas.
    - Mais je n'ai pourtant pas rêvé  !
    - Ce sont des choses qui arrivent, les habitants du lieu peuvent se montrer farceurs, parfois.
    - Certainement. dit le jeune homme en le suivant dans les escaliers.
    
     Alors qu'il se sert au buffet, il se sent observé. Mais il a beau inspecter la pièce, il ne voit rien. Avec un soupir, il s'assied. Que peut-il y faire  ? Cet endroit est bizarre, il doit prendre son mal en patience et ignorer autant que possible sans en avoir l'air les manifestations bizarres.
    A peine installé à son poste, un client vient le voir à l'accueil. Il lui explique qu'il est allé courir tôt le matin et qu'en rentrant dans sa chambre, les meubles avaient bougé malgré la porte fermée.
    - Je vais me renseigner, je reviens.
    Lorsqu'il va voir le gérant, celui-ci lui demande de venir rapidement l'aider à tout remettre en place. En effet, lorsqu'ils entrent dans la chambre, tout est sens dessus-dessous. Le lit est à la verticale, l'armoire est à plat sur le sol et la table de nuit est dans la douche.
    - Aidez-moi, Ophélien, nous allons remettre à sa place ce que nous pouvons. Il faudra demander de l'aide pour l'armoire.
    Peu après, le client les aide à remettre l'armoire sculptée debout puis ils l'aident à ranger ses affaires avant de prendre congé. Le client les remercie.
    - Ce sont des choses qui arrivent même si ce n'est pas la meilleure façon de commencer la journée. lui explique son employeur.
    - Oui, j'imagine.
    En sueur, il a soudain froid et il se demande de quoi sont capables les choses qui vivent à ses côtés, invisibles. Si elles sont capables de renverser une lourde armoire, que peuvent-elles faire  ?
    Le reste de la journée se passe sans incident notable et Ophélien lit un roman policier caché derrière le comptoir pour passer le temps. Il regrette de ne pas avoir eu de nouvelles de Jenny et il se dit qu'il serait temps de la contacter ainsi que Jade s'il arrive à capter un peu de réseau. Il n'ose pas dire la vérité à son amie mais Jenny se dit heureuse de le voir le soir suivant.
    
     Le lendemain, à l'aube, il se réveille en sueur, il lui a semblé entendre du bruit dans la chambre. Il allume la lumière mais il ne voit rien, hormis sa fenêtre ouverte alors qu'il est sûr de l'avoir fermée, jamais il ne dormirait la fenêtre ouverte. A son poste après un rapide petit-déjeuner, l'adolescent renseigne quelques clients par téléphone et par email. Alors qu'il vient de raccrocher, il lui semble voir quelque chose à travers la vitre du hall. Intrigué, il va regarder au-dehors mais il ne voit rien. Derrière lui, il entrevoit quelque chose bouger dans la vitre. Affolé, il se tourne rapidement mais il ne voit rien. Il frissonne, il a froid. Il observe la pièce mais il ne voit rien et il se glisse derrière son comptoir, un peu effrayé.
    - Est-ce cette vieille bâtisse qui me joue des tours  ? Ou mon imagination  ?
     A midi, il trouve un message de Jenny sur son téléphone portable qui lui demande à quelle heure, il termine et s'il serait disponible plus tôt qu'en soirée pour profiter du beau temps. Il hésite car ses mauvaises nuits l'épuisent et il espérait faire une rapide sieste mais il répond par l'affirmative.
    Le reste de la journée se passe paisiblement s'il occulte les appels qu'il reçoit cet après-midi là. Le téléphone sonne toutes les vingt minutes jusqu'au soir et à chaque fois, il entend des bruits indéfinissables. Le numéro de téléphone change à chaque fois et il fait appel à toute sa conscience professionnelle pour décrocher et rester poli. Il n'ose pas débrancher l'appareil et il subit les appels malveillants.
    A la fin de la journée, il monte prendre une douche rapide et se changer avant de se dépêcher d'aller manger même s'il est encore tôt. A dix-neuf heures trente, Jenny l'attend à l'accueil en parlant avec monsieur Sutingocni. Ophélien arrive les mains dans les poches.
    - Salut  !
    - Salut, je suis arrivée un peu tôt. On y va  ?
    - Oui.
    Ils décident de rejoindre la ville proche. Assis derrière Jenny sur le scooter, Ophélien n'est pas rassuré mais il serre les dents notamment dans les descentes. Lorsqu'enfin, ils s'arrêtent, c'est avec soulagement qu'il ôte son casque.
    - Tu as mangé  ? demande la jeune fille.
    - Non, il est encore tôt.
    - On se trouve un endroit pas très cher dans ce cas  ?
    - Oui, si tu veux  ?
    - Il y a une bonne pizzeria dans le coin, si ça te dit.
    - Oui, ça me va très bien.
    Un peu plus tard, installés devant une salade, Jenny s'intéresse au travail d'Ophélien à l'hôtel. Il lui raconte qu'il s'ennuie beaucoup et qu'il se passe des choses bizarres.
    - C'est normal, en même temps. Si tu n'aimes pas les fantômes, ce n'est pas le bon endroit.
    - Je ne savais pas; au début, du moins. Le gérant ne m'a pas dit les choses de manière claire. J'ai fini par comprendre tout seul même si j'ai tout fait pour chercher des explications rationnelles. J'ai beau être un rêveur avec beaucoup d'imagination, j'ai du mal à croire à l'existence de ces choses.
    - C'est dommage que tu n'aies pas songé à aller voir le site de l'hôtel. Tout est indiqué, pas en rouge clignotant mais quand même. Tu sais, il ne faut pas avoir peur des choses qui ne vivent pas sur le même plan que nous. Elles ne nous veulent généralement pas de mal. Tu aurais pu en parler au patron avant, non  ?
    - Facile à dire... marmonne Ophélien en baissant le nez sur sa pizza.
    - Je sais mais c'est une question d'habitude.
    - Tu sais, parfois je doute. Je me demande si c'est mon imagination ou si je suis fou.
    - Non, tu es juste sensible à certaines entités. Mais je suis pratiquement sûre que rien de maléfique n'habite l'hôtel. Elles sont farceuses mais rien de bien méchant.
    - Elles m'ont juste enfermées dans la cave et elles me font des blagues téléphoniques, jettent mes affaires par terre selon leur humeur du jour. marmonne Ophélien, un peu amer.
    - Ce n'est pas méchant ou contre toi, tu sais. Sauf si tu les ignores, elles n'aiment pas ça.
    - J'ai fini par le remarquer. Mais je suis supposé faire quoi  ?
    - Fais semblant de t'amuser de leurs blagues et de ne pas trop leur accorder d'importance.
    - Je vais essayer. Mais ça me rassure de ne pas être fou.
    - Non, tu es juste particulièrement sensible à ce qui vit sur un plan différent de nous. Un peu comme moi. dit Jenny en souriant. Mais on s'habitue avec le temps, tu verras.
    Ophélien n'en est pas si sûr mais il ne dit rien. C'est un peu inquiet qu'il rejoint l'hôtel où Jenny le dépose. Les mains dans les poches, il feint de ne pas écouter les bruits de la bâtisse mais il ne se passe rien d'anormal. Il se couche, épuisé de ses émotions.
    
     Le lendemain, Ophélien observe les clients qui ne remarquent rien de bizarre. Même s'il se souvient que certains clients sont venus le voir, il lui semble que les esprits s'acharnent contre lui sans raison. Avec un soupir, il regarde par les fenêtres du hall mais il ne voit que la lande déserte au loin, il se sent isolé de tout. La journée passe, monotone. Ses crayons tombent à plusieurs reprises, il les ramasse sans rien dire. Le téléphone sonne plusieurs fois mais lorsqu'il décroche, seul le silence lui répond. Ce n'est qu'en fin de journée que le réceptionniste se souvient que les fantômes n'aiment pas être ignorés et il feint de trouver leurs blagues hilarantes pour avoir un peu la paix. Il se sent observé et il se rend plusieurs fois aux toilettes pour demeurer seul.
    En fin de journée, le gérant vient le voir pour lui donner ses pourboires et lui annoncer qu'il a fini sa journée. Il s'éclipse, soulagé. Il lui a semblé à plusieurs reprises voir des ombres marcher dans le hall, il n'est pas parvenu à démêler s'il s'agit d'une illusion ou d'autre chose.
    Lorsque tard le soir après avoir passé la soirée à  lire, il va fermer ses rideaux et il se rend compte que c'est la pleine lune. Avec un frisson, il espère que les fantômes ne seront pas plus agités par cette lune particulière.
    
    Extrait du journal intime d'Ophélien  :
    J 47
    J'ai revu Jenny l'autre jour. Elle ne semble pas avoir de problème avec les «  choses  » qui me font des farces et me font froid dans le dos. Elle dit que je ne dois pas avoir peur. Mais même si je tente de les ignorer, j'ai peur. J'entends des choses, je vois des choses. Mais je dois me montrer courageux, pour une fois qu'il m'arrive quelque chose d'extraordinaire, je dois me dépasser. Je peux le faire. Je ne vais pas rester une mauviette toute ma vie, non  ? L'Ophélien transparent que personne ne remarque, le garçon pas populaire qui joue à des jeux vidéos car il n'a presque pas d'amis avec qui sortir ou tester d'autres activités? J'ai peur mais mon tour du monde vaut bien ce sacrifice, qui sait ce que je vais devoir affronter pendant cette longue période loin de chez moi sans téléphone, sans internet dans des lieux inconnus  ? Je ne peux pas décevoir mes parents, Jade, Jenny ou monsieur Sutingocni. Je ne veux pas qu'ils voient en moi un raté. Que peuvent me faire ces choses sinon des blagues  ? De toutes façons, si elles étaient vraiment dangereuses, le gérant n'aurait jamais ouvert un hôtel, non  ? Les clients ne viendraient plus ? L'hôtel serait fermé depuis longtemps, non  ? Je dois faire ce tour du monde et me prouver que je peux le faire  ! Que je vaux quelque chose  ! En plus, j'ai fait plus de la moitié de mon contrat, ce serait dommage d'arrêter maintenant. Courage, je peux le faire. 

vendredi 25 août 2017

Hôtel de charme particulier Chapitre 8

  Le réveil sonne et Ophélien relève la tête. Il se prépare sans réfléchir mais lorsqu’il entre dans le hall, il lui semble étrangement désert. L’horloge murale indique deux heures du matin et le silence des lieux lui confirme l’heure. Il ne comprend pas et il allume l'ordinateur pour vérifier qu'il est à la même heure que les autres horloges, ce qui est le cas. Dépité, il retourne se coucher.


  A six heures, le jeune garçon mal réveillé se précipite dans la douche pour chasser le souvenir de son réveil matinal, il n’a pas le temps de se pencher sur ce mystère. Le robinet émet un gargouillis et rien ne sort. Enfin, l’eau jaillit marron puis rouge avant de devenir quelque chose qui ressemble à du sang, elle inonde l’adolescent mal réveillé qui hurle. Interdit, il panique et se lave au lavabo avant de courir prendre son service.


  Encore frissonnant, Ophélien se glisse derrière le comptoir. Il renseigne quelques clients et répond à quelques appels téléphoniques. Alors qu’il revient des toilettes, Ophélien entend des cris en provenance du hall mais lorsqu’il s’y rend, il est désert.
  Le soir venu, il entend son téléphone portable sonner. Apeuré, il le regarde vibrer alors qu’il est certain de l’avoir éteint. Il rit de sa bêtise, il a dû le rallumer ou mal le fermer sans s’en rendre compte. Lorsqu’il plaque l’appareil à son oreille, son père lui demande de ses nouvelles. Ils discutent quelques minutes puis le jeune garçon raccroche. Le téléphone sonne de nouveau, il décroche et il entend un cri strident retentir. Le son remplit la pièce.
- Je ne veux pas mourir. J’ai mal.


  Une respiration saccadée se fait entendre. Ophélien se jette à terre, les mains sur les oreilles pour se protéger du bruit. Et il la voit, la tache rouge sombre incrustée dans le bois du parquet, il s'agit de sang, il en a la certitude, il s'est passé quelque chose dans cette pièce. Il sort de la pièce en courant. Dans le couloir, il se dit qu’il ne peut pas dormir ici, il s’apprête à quitter l’hôtel mais il n’ose pas prendre ses bagages. Alors qu’il traverse le hall des plaques tombent du plafond et le manquent de peu. Apeuré, Ophélien court sans réfléchir vers la sortie en priant pour que rien ne se trouve dehors à l’attendre dans le noir de la nuit. Sur la plage déserte, il cherche à se calmer. Il est fatigué, il a dû rêver, personne n’a rapporté de faits étranges parmi les clients et il rit de sa bêtise, du sang sur le parquet, comme si c'était possible. Il doit dormir et ne pas laisser son imagination lui jouer des tours parce que cette bâtisse inconnue est sombre et que le bois travaille. Il retourne se coucher en tentant de se persuader que ce ne sont que des rêves.


   La peur au ventre, Ophélien se recouche. Il reste recroquevillé sous la couverture toute la nuit mais il finit par s’endormir épuisé. Le lendemain matin, lorqu'il se réveille, il reste étendu de longues minutes. Les yeux ouverts, il ne se lève pas et il se contente de regarder le jour qui traverse les rideaux. Il hésite à abréger son contrat et laisser ses projets de côté. Mais il finit par se relever, il doit rester fort pour réaliser ses rêves. Il ne doit pas abandonner aussi facilement. Il se glisse sous la douche qui le détend, soudain, de l’eau boueuse sort du pommeau de douche et l’inonde avant de redevenir de l’eau normale. Ophélien a crié puis il a tenté de se calmer «  Ce n’est rien, c’est une vieille maison, il y a des soucis de canalisation, rien de plus.  ». Son téléphone portable se met alors à sonner, il se précipite vers lui mais lorsque qu’il le prend en main, il ne trouve pas le moindre appel en absence.
- Tu as rêvé, dépêche-toi, tu vas être en retard.
Son petit-déjeuner pris à la hâte, le jeune garçon se glisse derrière le comptoir, ses bandes dessinées soigneusement recouvertes de feuilles de papier. La journée se passe sans incident, il a le temps de lire les livres qu'il a achetés la veille et lorsque son employeur vient le trouver le soir pour lui rappeller qu'il a terminé sa journée de travail, il tente de cacher maladroitement son livre.
- Qu'est-ce donc  ? demande son employeur.
- La dernière aventure de Martin Sarbacane, le corsaire. répond-il en rougissant.
- Je ne connais pas. Votre journée de travail est finie, Ophélien, vous pouvez y aller.
- Pardon, je suis désolé.
- Vous ne vous êtes pas ennuyé, c'est le principal.
- Oui, il y a eu quelques clients et j'ai reçu quelques demandes de renseignement mais la journée a été calme.


   Ophélien remonte dans sa chambre et il décide d'aller se baigner car il fait encore chaud. Après deux heures à alterner baignades et bronzage, il se décide à rentrer à l'hôtel, un peu inquiet. Le reste de la soirée se passe sans incident et la nuit est paisible. A minuit, on frappe à sa porte mais il ne voit personne lorsqu’il ouvre. Il met cela sur le compte d'un cauchemar et il l'oublie aussitôt, trop épuisé pour y prendre garde.


   Le lendemain matin, Ophélien est réveillé par des coups frappés à sa porte et des cris qui proviennent du couloir. Il se réveille en sursaut et il se précipite vers la porte, le couloir est désert et tout semble tranquille dans l'hôtel.
- La fin de mon rêve devait être violente. dit-il en haussant les épaules.
Pour une fois réveillé avant que son réveil ne sonne, il prend son temps ce matin-là et c'est à belles dents qu'il dévore son petit-déjeuner. Il a même le temps de flâner avant de commencer son service.


  La matinée se passe sans incident et il profite de cette journée qui s'annonce calme. Il croise Jenny lorsqu'il va se promener sur la plage le soir venu. Il s'excuse de ne pas l'avoir appelée car il a du sommeil à rattrapper. Lorsqu'il rentre à l'hôtel à l'heure du dîner, il entend des cris en provenance de la cuisine. Il y trouve Maggiorino qui installe le buffet du soir pour les employés.
- Tu es en avance petit  ! Sers-toi, j'ai fait des pizzas, pour une fois, vous mangerez chaud  !
- Merci, c'est gentil. Au fait, je voulais te demander... Euh, il ne t'est pas arrivé des choses bizarres ces derniers temps  ?
- Ici, c'est tous les jours que des choses bizarres arrivent. Il ne faut pas avoir peur, ce ne sont que des blagues.
- Mais des blagues de qui  ?
- Tu n'es pas au courant  ? demande-t'il en s'asseyant à côté de lui, soudain un peu inquiet.
- Au courant de quoi  ?
- Le vieux t'a bien demandé si tu es au courant des bizarreries de l'hôtel  ?
- Oui, mais je pensais qu'il était juste vieux et dans un sale état dans un coin paumé...
- Je reviens  !
Un peu inquiet, l'adolescent le voit quitter la pièce en courant. Il finit de manger sa pizza avant qu'elle ne refroidisse. Le cuisinier revient bientôt, deux canettes de bière sous le bras.
- Tu ne dis rien au vieux surtout, je ne suis pas censé avoir ça dans ma chambre, hein  ? Tiens  !
- Je ne connais pas cette bière, c'estquoi  ?
- Une bière de chez moi, mon cousin est venu pendant mes congés, il me les a apportées.
Le cuisinier attend qu'ils aient vidé la moitié de leurs cannettes en parlant de tout et de rien avant d'aborder la question de l'adolescent.
- Tu connais la réputation de cet hôtel  ?
- Il est vieux  ? Sur une île perdue  ?
- Et pourquoi tu crois que les gens viennent  ?
- Parce qu'il n'y a que deux hôtels sur l'île  ? répond-il.
- Pas tout à fait. Tu as peur du surnaturel  ?
- Je n'y crois pas du tout, ce sont des contes pour les enfants.
- Non, les fantômes existent et cet endroit est hanté et c'est pour ça que les gens paient une fortune pour venir dans cet hôtel délabré. Et plus tu les ignores, plus ils vont s'acharner sur toi. Sois gentil avec eux et ils le seront avec toi.
- Sérieux  ?
- Oui.
- Personne ne te l'a dit  ? Tu n'as parlé à personne des choses bizarres que tu as vues  ?
- Non, je n'ai pas osé, je pensais devenir fou. 
- Et ne t'inquiète pas, les fantômes sont gentils si tu es gentil et poli avec eux, ils détestent être ignorés.


Extrait du journal d'Ophélien
J34
Au fond, je le savais. Mais une part de moi refuse de croire à ces choses. Non, ça n'existe pas, c'est une blague, quelqu'un me fait des blagues... J'espère car ce serait pire.


  Le lendemain, durant la matinée, Ophélien décide de mettre de l'ordre dans le bureau pour s'occuper. Soudain, il entend des cris provenir de l'extérieur. Il se précipite dans la cour mais elle est déserte.
- C'est une blague  ! Ou je deviens fou ou j'ai rêvé ou cet endroit est vraiment hanté  ? Mais c'est impossible. Et si Maggiorino m'avait fait une blague  ? Il semble gentil avec moi mais tout de même...
Malgré les coupures d'internet et la connexion particulièrement lente, Ophélien parvient à se connecter sur le site internet de l'hôtel. Sur la page d'accueil, il ne voit rien qui l'interpelle en particulier. Alors qu'il passe rapidement en revue le site, il tombe sur un encart qui lui apprend que l'hôtel est habité par des esprits facétieux.
- Des esprits  ?
Ophélien, incrédule lève les yeux de son écran et il inspecte le hall du regard. Tout est calme et silencieux. L'adolescent déglutit et il s'assied sur sa chaise pour relire posément les lignes qui l'intriguent.
«  L'hôtel est réputé hanté depuis le XVII ème siècle, voire avant, par plusieurs fantômes innofensifs mais blagueurs. De plus, leur présence crée des dysfonctionnements électriques, dans le circuit d'eau et dans la régulation de la température. L'état de conservation de l'hôtel renforce l'impression d'être hors du temps dans un monde parallèle...  ».


Extrait du journal d'Ophélien
J 35
Hanté  ? L'hôtel serait hanté  ? Je suis fou ou trop imaginatif ou il y a vraiment autre chose  ? J'ai besoin de cet argent pour réaliser mon rêve mais si je suis courageux et si j'arrive à prendre des photos par exemple, je pourrai les revendre et devenir riche. Je suis à la moitié de mon contrat, il serait dommage d'abandonner maintenant.


  Durant le reste de la journée, l'adolescent recense ce qui lui est arrivé depuis le début de son contrat et il se demande si cette histoire ne serait pas vraie. Cette hypothèse répond à de nombreuses questions mais il ne s'en satisfait pas. La curiosité devient plus forte que sa peur et il décide de mener l'enquête à la fois pour passer le temps et pour ne pas perdre cette occasion de monnayer des clichés révélateurs. Il sait que s'il ne va pas au bout de son contrat, il peut dire adieu à son tour du monde car il n'aura sans doute pas le courage de partir.


  Soudain glacé, Ophélien hésite avant de sortir sur le perron pour prendre le soleil. Un peu réchauffé, il hésite à parler de sa découverte à son patron. Mais à quoi bon, puisqu'il ne lui en a rien dit lui-même. Même s'il a fait quelques allusions à la situation, il n'a jamais été clair avec lui. En colère, l'adolescent reprend son poste et il se replonge dans sa bande dessinée pour ne pas penser à ce qu'il vient de découvrir. Plusieurs fois, il lui semble entendre des bruits de pas résonner dans le hall mais il ne voit rien et il n'ose pas intervenir. Une sueur glacée le met mal à l'aise mais il se reprend. Il a survécu jusqu'ici sans savoir, il peut bien continuer jusqu'à la fin de son contrat.


Deux heures plus tard, pendant lesquelles seuls deux clients sont venu le solliciter pour lui demander où ils peuvent acheter des cigarettes et où manger, il termine sa journée avec soulagement.
- Ophélien, vous avez fini votre journée  ! dit Monsieur Sutingocni en se plantant devant lui.
- Hein  ?
- Vous allez bien  ?
- Euh oui... Dites, cet endroit est vraiment hanté  ?
- Bien sûr, quelle question  ! Vous l'ignoriez  ?
- Oui, vous auriez dû m'en parler lors de l'entretien  ! dit-il en s'emportant.
- Pardon, je ne pensais pas que vous ne seriez pas allé sur le site de l'hôtel, d'ordinaire, les employés viennent pour cela. Les fantômes ne sont pas méchants, juste un peu farceurs, c'est tout. Voulez-vous arrêter  ? Je ne vous cache pas qu'il me sera difficile de vous remplacer car la saison est avancée.
- Non, non, je n'ai pas le choix, non plus.
- Ah oui, votre tour du monde. Ne vous inquiétez pas, les fantômes ne vous feront aucun mal si vous restez poli avec eux et riez de leurs blagues. Ils ne sont pas méchants, ils ont seulement besoin de se sentir encore un peu vivants, vous comprenez  ?
- Je crois.


  Le soir venu, l'adolescent dort peu, il épie tous les bruits de la nuit jusqu'à ce qu'il s'endorme épuisé. Le lendemain, il se réveille en retard et la journée se passe sans encombre. En fin de journée, il va voir Maggiorino en qui il a confiance.
- Merci de m'avoir dit pour les fantômes, je ne sais pas si je vais rester toute la saison.
- Tu as signé un contrat et puis, cet endroit n'est pas si mal, tu sais  ? C'est un travail normal mais il se passe juste des choses bizarres de temps en temps. Il suffit de les ignorer, tu n'as pas à en avoir peur. Jusqu'ici, ils t'ont fait des blagues mais pas vraiment de mal, non  ?
- Tu as raison.
- Tout dépend de la manière dont tu considères les choses...


  La journée se passe sans incident notable et lorsqu'Ophélien se décide à aller se coucher, il remarque par la fenêtre de la salle de bain que c'est la pleine lune. Des ombres mouvantes courent dans le jardin et malgré sa peur, il ne peut se retenir de vouloir en savoir plus. Il quitte sa chambre, secoué de frissons, en songeant que ce ne sont que des fantômes. Le décor de bois sombre et les fenêtres au verre épais et trouble ne laissent filtrer que peu de lumière. Par la fenêtre, il ne voit rien et il retourne dans sa chambre tenter de dormir.


   Le lendemain, Ophélien se réveille après une nuit paisible malgré les choses qu'il lui a semblé voir. Mais il n'est pas sûr de les avoir vues et il les a rapidement chassées de son esprit. Il repense à ce qu'il a vécu depuis son arrivée mais il ne parvient pas à tout se remémorer à cause d'un trop plein d'émotions qui le submerge. Il se demande s'il est victime d'une blague ou du hasard, voire des deux. Il profite de s'être levé assez tôt pour traîner à se préparer et avoir le temps de prendre son petit-déjeuner. Gourmand comme à son habitude, il ne résiste pas aux mini kouignn-amann qui l'attendent encore chauds sur le buffet. Même s'il se sait pas raisonnable, il se sert largement et il complète d'un peu de salade de fruits pour se donner bonne conscience.


   A peine arrivé à son poste de travail, il croise monsieur Sutingocni qui lui dit bonjour avec son amabilité coutumière. A plusieurs reprises, il entend des bruits de pieds nus courir dans le hall mais il ne voit rien. Tétanisé, il tente de se persuader que savoir qu'il y a des esprits ou des fantômes présente des avantages, il sait qu'il n'est pas fou et il a une explication aussi peu rationnelle qu'elle soit. Il ne se détend que lorsqu'il est sûr d'être parfaitement seul. Il n'a pas le temps de se perdre plus avant dans ses pensées car un client vient lui demander s'il peut prolonger un peu son séjour.
- Je ne sais pas comment cela se passe. Votre chambre est encore libre trois jours, je vais voir avec le patron. dit-il sans comprendre comme un client peut vouloir rester plus longtemps ici.


  Le gérant de l'hôtel arrive dès qu'il reçoit l'appel d'Ophélien et il lui explique que si la chambre est libre, il peut prolonger lui-même le séjour sur le logiciel. La facturation se fera automatiquement. Il doit seulement bien vérifier que la chambre est libre mais le logiciel lui signalera les doublons. Ophélien, le visage rouge de honte d'avoir dû faire venir le gérant pour régler une question aussi simple devant les clients finalise la réservation et la cliente le remercie avec chaleur de sa serviabilité. Il lui répond par un sourire forcé.
La journée s'écoule lentement, il guette la présence des entités mais il suppose qu'elles sont dans une autre partie de l'hôtel, ce qui l'arrange bien.
 
  Le lendemain, fatigué par ses nuits agitées, Ophélien peine à se réveiller. Incapable de se souvenir du mot de passe de l'ordinateur, il doit chercher dans ses notes. Il manque de se tromper plusieurs fois en renseignant des clients et il se trompe de chambre en accompagnant les uniques nouveaux clients de la journée à leur chambre.
- Je suis désolé, je me suis trompé d'étage. Il faut monter à l'étage supérieur.
- Ce n'est pas grave, cela arrive à tout le monde. disent les clients avec un sourire forcé.
Lorsque l'adolescent rejoint son poste de travail, il espère qu'ils ne se plaindront pas de son erreur à son employeur. Il remarque alors que des ratures ont été faites sur ses notes, il soupire et il les recopie en tentant de lire à travers la feuille pour retrouver les données perdues.


  Toute la matinée des portes et des fenêtres couinent dans le hall, ce qui met ses nerfs à vif. L'adolescent prend sur lui pour les ignorer mais il a trop mal aux oreilles pour se contenir longtemps.
- Silence  ! hurle-t'il à bout de nerfs en fin de journée.
Le silence se fait enfin et il peut respirer librement. Inquiet, il balaie la pièce du regard mais tout lui paraît calme. Il regarde l'horloge, il n'est que onze heures, il espère être tranquille pour le reste de la journée mais secoué, il décide de se rendre rapidement à la cuisine pour se servir un thé et apaiser ses nerfs mis à rude épreuve. Lorsqu'il revient, il commence une nouvelle aventure de son livre dont vous êtes le héros en sirotant son thé pour se changer les idées. Le hall de l'hôtel demeure calme et peu à peu, il se détend.
Le midi, il en parle au cuisinier qui l 'écoute avec attention.
- Tu as bien réagi, il faut souvent savoir être ferme avec eux.


Le reste de l'après-midi est ponctué d'incidents mineurs, ses crayons tombent à terre lorsqu'Ophélien se rend aux toilettes, le téléphone sonne à plusieurs reprises mais il n'entend qu'un bruit de respiration avant que le plaisantin ne raccroche et ses lacets sont noués ensemble à deux reprises ce qui manque de le faire tomber lorsqu'il se lève.


Extraits du journal intime d'Ophélien  :
J 38
Je deviens fou, je crois qu'il y a vraiment quelque chose. En effet, le silence s'est fait lorsqu'à bout de nerfs, j'ai demandé le silence. Je suis trop fatigué pour chercher à comprendre. Je suis en congés demain, ils seront bienvenus.

jeudi 24 août 2017

Contes et légendes de Berethiel-Nienor: Un cocktail détonnant

- On doit l'inviter ! Elle n'osera jamais venir.
- C'est la fête de fin d'année et nous ne la reverrons plus ensuite.
Assis à l'écart dans la salle d'étude, les deux délégués de classe parlent de la fête qu'ils organisent. Après délibération, ils sortent et vont donner à la secrétaire le carton d'invitation en espérant qu'elle l'égare.
Lorsque Raya reçoit l'invitation chez elle, elle bat des mains de joie puis relit le carton, incrédule.
«  Venez fêter votre B.O.U.M. le dernier jour de cours (30 juin) à partir de 14 h 00 dans la salle principale des élèves de première année sous la surveillance des professeurs. Ramenez un gâteau ou une boisson. Veuillez confirmer votre présence avant le 15 juin.
Le professeur principal »
Aussitôt, la sorcière confirme sa présence et se lance dans les préparatifs de la fête. Avec sa mère, elles accessoirisent sa plus jolie robe de rubans animés d'un vert venimeux qui s'agitent et sifflent comme des serpents. Ravie, Raya n'a qu'une hâte : être au jour de la fête.
 
  Le jour J, un peu intimidée, elle se présente dans la grande salle. L'accueil est glacial mais elle tente de sourire. 
- Bonjour Raya. dit son professeur principal en venant vers elle. Tu es venue ?
- Oui... dit la petite fille.
- Et qu'as-tu amené ?
- Un cocktail, je suis nulle en pâtisserie.
- Bien, bien. Mets-le sur la table là-bas, le goûter va bientôt commencer.
Après quelques danses sur des musiques à la mode, le moment tant attendu arrive. Des jus de fruit qui changent de goût à chaque gorgée et des gâteaux aux parfums inconnus ravissent les papilles des enfants.

  Intrigués, plusieurs élèves s'approchent du cocktail de Raya qu'ils reniflent d'un air de dégoût.
- C'est quoi ? demande un garçon joufflu.
- Aucune idée, l'odeur est bizarre mais pas ignoble non plus. répond une petite fille aux courtes nattes blondes.
- On goûte ? propose un garçon à lunettes.
- Allons-y ! décident-ils ensemble.
- Je sens un goût de poubelle. dit la petite fille. Je me sens mal, j'ai envie de vomir.
Peu après, ils courent aux toilettes où ils vomissent des déchets qui semblent sortir d'une poubelle. Voyant cela, Raya récupère son cocktail et va le vider dans l'évier de la cuisine aussi discrètement que possible. Elle nettoie soigneusement le récipient, non sans vérifier que personne ne l'observe. Soulagée, elle jette la bouteille qu'elle avait amenée et elle rejoint la fête. Lorsque les trois amis se sentent mieux, ils cherchent le coupable mais personne ne sait qui a fait le mélange. La sorcière aux cheveux mauves respire mais elle préfère quitter la fête avec les premiers invités.

  Le soir venu, Raya ouvre son grimoire à la dernière page qu'elle raye soigneusement.
«  Cocktail de fête
Jus de citrouille 40 %
Feuilles de mandragore (décoction) 30 %
Liqueur de chauve-souris 10 %
Feuilles d'ortie (décoction) 10 %
Poudre de rose (infusion) 5 %
Poudre de réglisse (infusion) 5 % »

mercredi 23 août 2017

Hôtel de charme particulier Chapitre 7

  Une nouvelle semaine commence et cinq clients viennent s'ajouter aux cinq déjà présents. Au fur et à mesure des arrivées, Ophélien vérifie leur réservation et les mène à leur chambre.
 - Avez-vous vu des choses étranges ici?
Le jeune garçon se retourne et il fait face au jeune couple qui le regarde d'un air amusé. Il fait tomber ses clés par terre et il bredouille en les menant à leur chambre.
- Les bois craquent la nuit, la matière travaille. Et euh, les bruits résonnent dans les murs, les parquets grincent et il y a beaucoup de courants d'air.
- Que c'est merveilleux, j'ai hâte de voir la chambre. dit la jeune femme en riant.
Après leur avoir montré la chambre, Ophélien quitte la pièce. Il se dit qu'il aurait dû les prévenir des particularités de l'hôtel. Il se demande s'il ne ferait pas mieux d'arrêter et renoncer à son tour du monde, mais le besoin de  quitter sa vie étriquée le convainc de continuer. Il n'a plus longtemps à tenir. Lorsqu'il prend sa douche ce soir-là, la température de l'eau change et passe à glacée puis brûlante pour revenir à la normale. La variation de température n'a duré que quelques secondes mais elles ont suffi pour qu'il en sente les effets sans pouvoir y échapper ou réagir. Lorsqu'il inspecte  les boutons, il ne remarque rien. Mais en sortant de la douche, il remarque des traces de pas mouillés sur le sol de la salle de bain alors qu'il était seul dans la pièce fermée. Inquiet, il les suit mais elles s'arrêtent à la porte de sa chambre. Sur le palier, enroulé dans sa serviette, encore mouillé, il inonde le sol durant de longues minutes avant de se décider à cesser de scruter le couloir désert où il ne voit aucune trace. Comme si le plaisantin s'était essuyé les pieds avec soin avant de quitter la pièce. Il efface minutieusement les traces en tentant de se persuader que ce sont les siennes. Des traces d'eau restent incrustées dans le parquet, il espère qu'elles finiront par sécher. Epuisé, il regarde un moment la télévision dans la salle commune avant de se décider à se coucher. A son grand soulagement, les traces ont séché et le parquet est comme neuf.

  Cette nuit-là, il se réveille en frissonnant, la fenêtre est ouverte et les rideaux volent dans la nuit. Ophélien se lève pour refermer la fenêtre qu'il ne se souvient pas avoir ouvert mais il marche dans une flaque d’eau. En levant les yeux au ciel, il commence par fermer la fenêtre puis il va chercher une serviette pour éponger l’eau dont il ne parvient pas à déterminer la provenance. Lorsqu’il pose les yeux sur le sol, il se rend compte que ce sont des flaques de sang frais. Il a laissé des traces de pas partout sur le parquet et il doit les faire disparaître avant le matin pour ne pas susciter de questions. Et avant toute chose, il doit se laver les pieds. Il commence à hurler lorsqu’il se réveille en sursaut. Il se rassure aussitôt, il est bien dans son lit, en pyjama.
- Ce n'est qu'un rêve très réaliste. dit-il à haute voix pour se rassurer.

Il allume la lumière pour aller se servir un verre d’eau et il s'assure par réflexe qu'aucune tache suspecte ne salit le parquet. Mais en rejoignant son lit, il voit les draps bouger. Le cœur battant, il approche et tire brusquement le drap. Une énorme araignée lui fait face et semble le menacer de ses pinces qu'elle ouvre et ferme avec lenteur. Elle se recroqueville sur elle-même et l'adolescent se dit qu'elle va sauter. Paniqué, il fuit dans la salle de bain avant de se décider à l’affronter avec la brosse des toilettes. Lorsqu'il entre dans la chambre, elle a disparu; l'adolescent cherche partout durant de longues minutes mais elle n'est nulle part. Il secoue les rideaux, vide l’armoire sur le sol mais il ne trouve pas la moindre trace de l’insecte. Un peu inquiet, il finit par se recoucher parcouru de frissons. Le reste de la nuit se passe sans incident. Lorsqu’il se lève au son de son réveil, un peu fatigué de sa nuit, il remarque des taches sur le sol juste sous ses pieds. D’un rouge sombre, elles lui font dresser les cheveux sur la tête. Un liquide a été versé sur le sol et a séché durant la nuit. Il tente de se convaincre qu'il a écrasé l'araignée en se levant durant une crise de somnabulisme mais il sait qu'il se ment. Il doit se rendre à l’évidence, il se passe des choses étranges dans cet hôtel ou il est victime d’une farce. Il essuie tant bien que mal les taches avec un chiffon imbibé d'eau et de savon qui fait des marques sur le parquet de bois brut. Il sèche aussi soigneusement que possible les taches en priant pour que cela ne se remarque pas une fois sec. La tache semble partie et il soupire de soulagement. Après avoir rincé le chiffon, il remarque le réveil qui lui signifie qu'il est en retard. Après une rapide toilette, il se dépêche de prendre son petit-déjeuner avant de prendre son service.

  Plus tard, debout derrière son comptoir, il se demande s’il n’a juste jamais remarqué cette tache et si la fatigue n’a pas joué des tours  à son inconscient.
- Bonjour, monsieur Sutingocni. J’ai remarqué une tache sur le sol de ma chambre, je me demandais si elle est récente.
- Quel genre de tache  ?
- Une tache sombre comme si c’était du sang.
- Oh, ce n’est pas impossible, en effet. Vous connaissez la légende liée à cet endroit et les ignobles meurtres qui ont eu lieu ici  ?
- Non.
- Il y a un livre à ce sujet dans la bibliothèque, vous devriez y jeter un coup d’œil.
- Oui, cela me semble une bonne idée. marmonne-t'il sans enthousiasme.
La journée se passe sans incident, monotone. Ophélien s'ennuie et il lit discrètement son livre dont vous êtes le héros derrière son comptoir. Il se promet qu'il ira en acheter d'autre durant son prochain jour de congé car bien qu'il puisse vivre de nombreuses aventures, il commence à avoir envie de changer un peu d'univers.

  Le soir venu, Ophélien décide de prendre une douche pour se changer les idées. Il se glisse avec délices sous l’eau chaude et il se savonne et shampooine généreusement. La vapeur emplit la cabine de la douche. Peu à peu, la température de l’eau descend jusqu’à devenir glaciale. Ophélien ne se rend pas immédiatement compte du changement mais lorsqu’il tente de couper l’eau, il n’y parvient pas. Le robinet est éteint mais l’eau coule toujours. Il tente de sortir de la douche mais la porte reste bloquée. Le jeune garçon se plaque contre la paroi là où l’eau le touche le moins. Transi de froid, il se demande quoi faire. Il soupire de soulagement car la température remonte lentement. Lorsque l’eau redevient tiède, il passe la main sous l’eau mais la température demeure stable  ; rassuré, il se glisse sous le jet d’eau qui commence à monter en température. Cette fois-ci, il s’en rend compte immédiatement. La température commence à devenir suffocante et il tente de sortir mais la porte est toujours bloquée. Il tambourine sur la paroi en plastique dans l’espoir de la casser, sans succès. Alors il hurle à pleins poumons et bientôt la porte s’ouvre. Monsieur Sutingocni se tient devant lui.
- Ophélien, tout va bien  ?
- Oui, la température de l’eau a commencé à faire des siennes et je me suis retrouvé coincé à l’intérieur de la cabine. Peut-être que dans ma panique, je n’ai pas poussé assez fort.
- Je l'espère. dit son patron en lui tendant une serviette.
C'estalors qu'Ophélien se rend compte qu'il se tient ruisselant et sans vêtements devant son employeur qui quitte la pièce d'un air soucieux.
  Une fois en pyjama, Ophélien se pelotonne sous ses couvertures. Il ne peut retenir ses larmes.
- J'en ai marre de cette vieille baraque  ! Il m'arrive plein de choses bizarres depuis que je suis ici  ! Cette maison me rend dingue mais à qui puis-je en parler  ? A cause de tout ça, je me suis retrouvé sans vêtement devant mon patron  ! Et si j'arrête  ?
Il s'assied sur son lit en pleine réflexion avant de se recoucher avec un soupir.
- Tu rêves mon vieux  ! On est fin juillet, tu ne trouveras plus rien. Tu as fait la moitié et tu n'es pas si mal que ça, au final. Tu dois juste ignorer les choses bizarres qui t'arrivent. Ce n'est que ton imagination!
Un peu rassuré, il s'endort paisiblement.

  Le lendemain, en prenant son poste, il voit Jenny qui installe une table et des chaises dans le hall.
- Bonjour Ophélien  ! Tu vas bien  ?
- Oui, je m'ennuie un peu à l'accueil mais ça va  ? Tu fais quoi ici  ?
- Je travaille  ! Je connais bien le patron et il me laisse travailler de temps en temps pour amuser les clients.
- Et tu fais quoi comme travail  ?
- Je tire les cartes.
- Ah, tu fais de la magie... dit l'adolescent sur la défensive.
- Tu veux que je te tire les cartes  ? Gratuitement bien sûr.
- Non merci, je ne crois pas à tous ces trucs.
- Pourquoi tu travailles ici, alors  ?
- Parce que j'ai besoin d'argent. Je dois aller travailler. Euh, travailles bien de ton côté. On mange ensemble ce midi  ?
- Je pars à onze heures, il n'y a pas tant de clients que ça et un tirage, c'est rapide quand on a l'habitude.
- Une autre fois alors.
- Je ne suis pas là au mois d'août, je vais voir de la famille sur le continent.
- Bon, on ne se reverra pas alors. Passe me dire au revoir en partant.
- T'inquiète.
La matinée se passe sans incidents, Ophélien observe la petite table où les clients de l'hôtel se pressent. A onze heures, Jenny vient le voir.
- Tu peux prendre ta pause  ? Tu veux que je te tire les cartes  ?
- Je ne sais pas, il faut que je demande au patron. On peut se voir ce soir  ?
- Oui, tu finis à quelle heure  ?
- Dix-sept ou dix-huit heures.
- Je t'attends à dix-neuf heures trente  ? Tu auras mangé  ?
- Oui, ça me va, je mangerai avant de venir.
- A ce soir  !
- A ce soir  !

Durant le reste de la journée, Ophélien accueille les clients et il doit refuser de nombreux clients déçus que l'hôtel soit complet pour l'été. A dix-sept heures trente, il court prendre une douche et se changer en chantonnant. A dix-neuf heures sonnantes, il se dépêche de manger pour remonter se brosser les dents et prendre une veste.
Comme convenu, Jenny l'attend en discutant avec monsieur Sutingocni qui semble bien la connaître. Il salue son patron avant de sortir.
- Je suis en scooter, tu as mangé  ? On va sur la plage  ? Je me prendrais un sandwich là-bas et on pourra se poser pour boire un verre. Et après, on verra  ? Tu travailles demain, je suppose...
- Oui, je travaille demain, je ne voudrais pas rentrer trop tard.
Un peu inquiet, l'adolescent met maladroitement le casque que lui tend la jeune fille puis il monte sur le scooter et ils rejoignent bientôt la plage. Elle s'arrête devant une baraque qui ne paie pas de mine.
- L'extérieur n'est pas génial mais on y mange bien pour pas cher. dit-elle en lui faisant signe de descendre.
Assis devant une bière et un gigantesque sandwich aux crudités, ils parlent du travail de Jenny à l'hôtel.
- En gros, je tire les cartes pour les touristes et je lis l'avenir dedans. Je viens de temps en temps selon mon emploi du temps et mon besoin d'argent de poche, je l'avoue.  Les clients sont contents et c'est bien payé.
- Vu l'hôtel, ça cadre bien avec le décor. dit Ophélien en riant.
- C'est sûr  ! dit Jenny en riant à son tour. Tu pars quand  ?
- A la fin de l'été.
- Ah et tu penses revenir  ?
- Non, honnêtement, ce travail est trop... bizarre.

Elle acquiesce en mordant dans son sandwich et il hésite à lui parler de ses visions. Mais il renonce, elle est sa seule amie sur l'île, il n'a pas envie qu'elle le prenne pour un fou mais au fond de lui, il sait qu'il a tort. Si quelqu'un peut le comprendre, c'est bien Jenny.
- On racontre qu'autrefois, il y a bien longtemps, un serviteur vivait sur une île. Il travaillait dans un château pour un seigneur gentil et un peu fou mais il commença à voir des apparitions.
- Et ensuite  ?
- Il passa de longues heures à étudier des grimoires poussièreux et il finit par comprendre qu'il était très malade. Mais il ne pouvait pas partir à la recherche d'un enchanteur car le seigneur avait besoin de ses services. Il tenta de parler de son mal à son seigneur mais celui-ci n'en comprenait pas la gravité. Ce mal le rongeait de jour en jour et le chevalier ne pouvait pas quitter son seigneur. Un jour, il rencontra une jeune paysanne à qui il parla de son mal. Elle était un peu sorcière mais il n'osait pas lui avouer ce qui le tourmentait jour et nuit.
- Et il finit comment ton conte  ?
- Euh, le chevalier se sentait glisser vers la folie et comme personne ne répondait à ses appels au secours, il partit faire un long voyage, très loin. On ne le revit jamais.
- Il est bizarre, ton conte. Bon, il est vingt heures. Je te propose qu'on aille acheter un truc à boire puis qu'on aille se balader sur la plage. Comme ça, je te ramène à une heure convenable. Si tu ne te lèves pas demain matin à cause de moi, le vieux va m'en vouloir. Tu viens  ?
Les deux adolescents achètent un pack de bière qu'ils se partagent malgré les réticences du jeune garçon. Sa nouvelle amie rit de son hésitation  :
- C'est les vacances, profites-en  !
- Je n'ai pas l'habitude de boire. Un peu de champagne à noël et pour les anniversaires. Et aussi un peu de vin pour les repas de famille.
- Tu as quel âge  ?
- Dix-sept ans.
- Tu peux donc te le permettre. Ce n'est pas une bière qui te rendra saoûl, crois-moi  !
Avec hésitation, l'adolescent tend la main. Elle n'a pas tort, ce sont les vacances, il est loin de ses parents trop protecteurs, il peut en profiter pour faire des choses de son âge sans abuser non plus. Ils parlent longuement assis sur le sable froid bercés par le bruit des vagues et le banjo d'un musicien caché dans la nuit. Ophélien rentre à une heure raisonnable comme promis, heureux de cette soirée.
 
 Le lendemain matin, l'adolescent se réveille dès la première sonnerie de son réveil.
- Mince  ! Il faudrait que je donne signe de vie à mes parents, ils vont s'inquiéter  ! se dit-il en sautant du lit.
Aussitôt son devoir accompli, il se précipite sous la douche puis dans la cuisine pour apaiser sa faim.
- Salut  !
- Buongiorno  ! dit Maggiorino qui chantonne en installant la table du petit-déjeuner de l'équipe. Bientôt un mois que tu es ici, petit  ? Tu restes avec nous jusqu'à la fin de l'été  ?
- Oui, le temps passe vite. dit Ophélien en piquant du nez vers son bol de céréales.
- J'ai fait des crêpes, ne me dis pas que tu préfères ces corn flakes  !
- Je n'avais pas vu, c'est gentil mais j'ai assez mangé. dit Ophélien d'un air dépité.
- Tu es gourmand, toi, je le sais bien. Tiens  ! Tu auras de quoi manger dans la matinée. dit le jeune homme en enveloppant les crêpes dans une serviette en papier.
- Merci  ! Oui, je suis plutôt gourmand.
- Tu as bien raison, la cuisine est un plaisir simple de la vie renouvellé tous les jours. Profites-en bien. En faisant attention, évidemment, tout est une question de mesure.
- Oui, je dois y aller, je ne voudrais pas être en retard.
Vers dix heures, Ophélien s'ennuie derrière son comptoir et la crêpe est bienvenue.
- Gourmand, va  ! chuchote une voix à son oreille.
L'adolescent se raidit, il se retourne vivement mais il est seul bien entendu. Avec un frisson, il parcourt la pièce du regard mais rien ne bouge.
- Ce n'est que ton imagination, mon vieux. Ce n'est rien de grave, ça arrive. Respire  !
Le jeune garçon respire lentest  mais la peur prend le dessus. Il frissonne, les battementss de son cœur s'accèlèrent, il a froid,  la sueur commence à perler à son front et dégouliner de ses aisselles le long de son flanc.
- Respire mon vieux, ce n'est que ton imagination. Tu ne crains rien. se murmure-t'il en boucle durant de longues minutes.
Un peu calmé, il mange ses crêpes pour se détendre, malgré son estomac noué, il profite d'être seul dans le hall. Peu à peu, il se persuade qu'il a rêvé et que ce n'est rien d'important.

[u]Extrait du journal intime d'Ophélien[/u]
“J 27
Je deviens fou, j'entends des voix mais à qui en parler  ? Le pire, c'est que je commence à avoir vraiment peur. Je dois tenir, j'ai fait la moitié de mon contrat. “
Le reste de la journée se passe sans incident notable mais l'adolescent est assez affecté pour que les évènements le troublent durablement. Le soir venu, Ophélien lit pour se changer les idées et s'empêcher de penser. Dépité, alors qu'il meurt d'une flèche empoisonnée dans un souterrain de son livre dont vous êtes le héros, il capitule et il va se coucher même s'il n'est que neuf heures.

  Le lendemain, un bourdonnement d'insecte le réveille à l'aube. Il se réveille en sursaut en regardant d'un air inquiet autour de lui.
- Il y a une guêpe dans ma chambre, j'ai peur. songe-t'il en cherchant l'origine du bruit mais il a beau attendre de longues minutes, il n'entend rien.
- Tu as rêvé ou elle est sortie d'une manière ou d'une autre.
En consultant son agenda, Ophélien remarque qu'il est arrivé depuis quatre semaines, presque un mois.
- Et dire qu'il me reste encore un mois de contrat ici  ! soupire-t'il en se levant.
Son petit-déjeuner avalé, son employeur lui dit d'aller jeter quelques poubelles, il a trié des papiers dans son bureau. Ophélien soupire au souvenir du jour où il s'est retrouvé enfermé dans le local poubelle mais il obéit. Il ne ferme pas la porte et il  ne la quitte pas du regard après avoir coincé une branche pour la garder ouverte. Il entend quelque chose remuer sur les sacs plastiques. Interdit, sa poubelle à la main, il n'ose pas la jeter.
- Arrête, c'est un rat. Courage  !
Il ouvre la poubelle, jette le sac et il fuit au-dehors en laissant le couvercle retomber.
- Tu es ridicule, mon vieux. Et cesse de parler tout seul  !
Durant le reste de la journée, Ophélien accueille les clients et il reçoit plusieurs appels de personnes qui le supplient de leur trouver une chambre même pour une nuit.
- Les gens sont fous de vouloir venir dans ce vieil hôtel bizarre ! Je sais qu'ils espèrent des désistements pour le mois d'août mais l'hôtel affiche complet, je me demande bien pourquoi. Plus qu'un mois à tenir dans cette maison de fou  !
Le soir venu, l'adolescent reste de longues minutes les yeux ouverts dans l'obscurité mais il n'entend rien de suspect et il s'endort rassuré.
  Le lendemain matin, Ophélien est réveillé par des craquements du parquet qui se rapprochent de son lit. Il se raidit et il attend, le cœur battant. Tout à coup, il ne parvient plus à respirer et il commence à suffoquer.
- Arrête, tu fais une crise de panique ou je ne sais quoi, calme-toi, mon vieux  ! murmure-t'il en allumant la lumière qui ne révèle rien de particulier.
Peu à peu, l'adolescent se calme. Il se lève et il va prendre son service, un peu honteux de sa faiblesse. Toute la journée, il se remémore les choses étranges qui lui arrivent mais il n'en trouve pas la logique et il renonce à comprendre. Le soir venu, l'adolescent s'accorde une soirée tranquille à lire des bandes dessinées pour se remettre.
Au matin, encore effrayé, il se sent mal à l'aise.

[u]Extrait du journal d'Ophélien[/u]
"J30
Le manque de lumière de cet endroit me rend fou. La nuit dernière, j'ai cru m'étouffer dans mon sommeil. J'entends des bruits maintenant. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi  ? "
La journée se passe sans incident notable. Mais lorsqu'il rejoint sa chambre, Ophélien trouve ses affaires éparpillées dans la chambre. Avec un soupir, il les ramasse.
  Le lendemain, jour de congé, Ophélien reçoit ses pourboires comme de coutume.
- Au fait, Ophélien je fais les virements aujourd'hui, dernier jour du mois. Les autres le savent mais je ne pense pas vous l'avoir dit.
- Merci. dit le jeune garçon avec un faible sourire.

  Il sort les mains dans les poches, il a mérité son salaire qui veut dire que son tour du monde se concrétise. Il n'ose pas appeler Jade pour lui parler de ce qu'il vit. Il lui envoie un message sur son téléphone portable pour lui dire que leur rêve prend forme. Elle répond qu'elle enchaîne les babysittings mal payés et qu'elle est épuisée mais elle lui rappelle que si tout va bien, ils seront partis à la rentrée. Elle ne peut pas rester plus longtemps à discuter avec lui car elle doit partir travailler.
Ophélien se sent seul. Les larmes aux yeux, il sort pour se changer les idées, un peu désoeuvré. Lorsqu'il rentre, il s'ennuie et il ne sait pas quoi faire de sa journée. Timidement, il va toquer à la porte du bureau de monsieur Sutingocni. Le petit bureau ne contient qu'un bureau, une chaise, un fauteuil de cuir et une armoire de rangement dans un style sobre.
- Ophélien  ! Il y a quelqu'un à l'accueil? J'y retourne dans cinq minutes ou je peux faire quelque chose pour vous  ?
Le visage rouge, les mains dans les poches, l'adolescent bafouille.
- Je suis désolé de vous déranger mais je voulais savoir si vous aviez le numéro de téléphone de Jenny. J'aimerais bien la contacter.
- Un instant, je dois avoir ça dans mon carnet d'adresse. Le voilà! Bonjour, ici le dirigeant de l'hôtel Tasmant, vous connaissez Ophélien qui s'occupe de l'accueil pour la saison estivale  ? Oui, il souhaiterait vous parler... Bien, je vous le passe. Au revoir.
Avec un sourire, il tend le combiné à Ophélien et il quitte la pièce.
- Salut, je suis en congé et je voulais savoir si tu es disponible aujourd'hui.
- Bien sûr, ça me ferait vraiment plaisir  ! Je passe te prendre dans un quart d'heure à la réception  ?
- Merci beaucoup. A tout de suite.
- A tout de suite.
 
Soulagé de déserter les lieux pour la journée, Ophélien va se changer et prendre un sac léger avec le nécessaire pour parer à toute éventualité  : maillot de bain, crème solaire, pull, argent de poche et petite serviette de toilette pour se baigner qu'il prend dans la salle de bain.
Un quart d'heure plus tard, il rejoint la réception où il attend son amie qui arrive quelques minutes plus tard.
- Salut  ! Je suis tellement contente de te revoir  ! J'ai oublié de te donner mon numéro de téléphone  ? Où avais-je la tête  ? Tiens, je te l'ai noté, comme ça, tu l'auras. On va à la plage ou tu veux visiter l'île  ?
- Genre il y a des choses intéressantes sur cette île  ? Sauf si on aime les vieux cailloux et se promener.
- En effet, pas grand chose qui t'intéresse. dit-elle en riant. On peut aller à la plage alors et ensuite, on verra.
Après une matinée à la plage, les deux adolescents vont manger dans un restaurant de poisson plutôt bon marché. Ils passent l'après-midi à se baigner et à jouer à des jeux de raquette. Ophélien rentre à l'hôtel le soir, heureux et détendu. Mais lorsqu'il entre dans sa chambre, ses affaires sont éparpillées dans la pièce. Il soupire mais il renonce à comprendre ce qui se passe, il range rapidement le tout avant de s'écrouler sur son lit, épuisé.