vendredi 31 mars 2017

Fictions pseudo-scientifiques: Ennui interstellaire

- Je te dis que j’ai lu que Foucault a découvert que son gyroscope permet de trouver le nord !
- Tu sais comment faire ? Tu vois bien que ça ne sert à rien du tout, dit Hugo en croisant les bras d’un air boudeur. Et puis te fier à un homme mort depuis des siècles n’est pas une bonne idée.
- Quel rabat-joie !
- En même temps, je parle à une fille qui se fie à un appareil poussiéreux qu’elle a trouvé dans une brocante ! On est passé à l’ère de la technologie, tu sais !
- Hugo, tu as une meilleure idée pour passer le temps ? Ou tu fais une crise de jalousie parce que tes jeux ont tous leurs batteries à plat depuis le temps ?
- Tu insinues quoi ?
- Tout simplement que si on ne veut pas mourir d’ennui durant notre voyage vers la planète Vénus, nous allons devoir jouer à des jeux qui datent de plusieurs siècles. On doit économiser l’énergie et on ne peut pas recharger les appareils inutiles. Viens, allons dans la verrière voir le paysage, mon père m’a dit que nous allions croiser une planète gazeuse dont j’ai oublié le nom. Il paraît que le spectacle vaut le détour.
- Ton père est astronome, un rien l’émerveille, répond l’adolescent boudeur en suivant son amie dans les couloirs déserts. Où sont les autres ?
- Dans la salle commune mais comme nous sommes les plus jeunes du vaisseau, les conversations d’adultes ne m’intéressent pas.

Debout devant le panneau de plexiglas transparent, les deux adolescents observent le spectacle familier qui s’offre à eux sans rien dire. Assis en tailleur, ils pensent à la Terre qu’ils ont quittée il y a déjà un an.
- En fait, Juliette, ce gyroscope, c’était une idée stupide, il n’y a pas de nord dans l’espace, reprend le jeune garçon.
- C’est vrai mais ça nous aura occupés quelques temps.
- Ton gyroscope m’y fait penser mais j’avais un diabolo sur Terre, j’aurais pu l’emporter, ça ne prend pas de place, c’est léger et comme on se serait amusés avec ! Il était violet et noir, les couleurs se brouillaient quand il tournait.
- C’est vrai que c’est dommage mais il faut de la place pour y jouer. Dans ce vaisseau, la place est un luxe.
- Tu as raison… On ne manque pas de papier vu qu’il est recyclé ! Origami ou pendu ?
- Encore ? On ne peut pas trouver quelque chose d’original pour changer ?
- On pourrait fabriquer des vêtements de papier et les colorier avec la peinture qui traîne quelque part. Ca nous occupera bien la journée, le temps de trouver l’idée, la mettre en œuvre et nettoyer et recycler derrière nous.
- Quelle bonne idée, ça nous changera !
Le gyroscope reste sur la table, inerte pendant que les gyroscopes géants du vaisseau spatial tournent inlassablement pour le faire glisser dans l’immensité de l’espace.

Défi: 500 mots Violet/ Gyroscope/ Jalousie

lundi 27 mars 2017

Nanowrimo Novembre 2016: La perle dorée

Il était une fois, au plus profond de l'océan, une huître qui avait avalé un rayon de soleil. Je ne sais pas comment, mais un rayon de soleil traversa sans obstacle les mètres d'eau entre la surface et l'huître. Celle-ci avala un débris de coquillage par inadvertance et le rayon de soleil par la même occasion.

D'abord, l'huître ne sentit rien. Puis le débris la piqua et elle se défendit en l'entourant de nacre. Couche après couche, elle fit grossir l'intrus et surtout elle tenta de le rendre le plus rond possible. Le moment venu, elle l'expulsa, sa forme ronde lui permit de rouler plus facilement vers l'extérieur. Satisfaite, l'huitre qui avait bien grandi entretemps, car plusieurs années s'étaient écoulées depuis l'incident, repris sa vie tranquille en veillant à ne plus avaler de gros débris. On suppose qu'elle vieillit et devint une huître de taille imposante reposant au fond de l'océan. Car qui serait venu la chercher là où elle s'était accrochée ? Pas grand monde, à mon avis.

La perle d'un bel or nacré était dorée mais nacrée en même temps si vous arrivez à vous l'imaginer. Solitaire, parfaitement ronde, elle restait là posée sur le sable. Mais au plus profond de l'océan, personne ne vient jamais. Ballotée par les courants, la perle dorée resta là bien longtemps.

Un jour, la fille du roi de la mer, une jeune fille téméraire plongea toujours plus profondément, elle voulait toucher le fond de la mer. Et quelle ne fut pas sa surprise dans un rayon de soleil de voir la perle dorée luire. Ravie, elle la ramena à son père qui la lui offrit. La princesse sirène la fit monter sur sa couronne et la perle dorée orna fièrement sa tête.

Et l'huître dans tout ça ? Eh bien, peu de temps après que la perle soit ramassée par la princesse des océans, elle avala un caillou.

samedi 25 mars 2017

Fictions pseudo-scientifiques: Mind uploading d'Adam A.

Journal intime d'Adam A.

"31 décembre 2158

Cher journal,

demain est un grand jour, celui du téléchargement et de l'échange de mon esprit. J'ai bien fait de ne pas jeter la publicité pour la société Braincorp que j'ai trouvée dans ma boîte aux lettres il y a six mois. Il faut croire que ce n'est pas un hasard.

1er janvier 2159

Le grand jour est arrivé, le nouvel an de ma nouvelle vie. Le centre est désert, j'attends le rendez-vous avec le scientifique qui a mis au point la méthode.

Plus tard.

Il vient de sortir et de toute me réexpliquer. D'après ses recherches, les fonctions cérébrales sont avant tout physiques et le cerveau est un organe comme un autre pour la majorité de ses fonctions: apprentissage, mémoire, morale. Ce n'est que de l'électricité, il y a bien des organes plus performants les uns que les autres de naissance mais pour lui, cela ne change pas grand chose au résultat final.

Soirée:

On vient de me faire ingérer un repas très sucré, le glucose nourrit le cerveau donc on a voulu lui donner "des forces"en vue de demain. J'ai peur. J'ai sauvegardé une partie de mes souvenirs sur un disque dur ces derniers mois mais je ne sais pas si ce sera suffisant pour retrouver ma vie d'avant sans encombre. Mais le plus important à mes yeux est d'adopter un esprit positif, actif et non plus tourmenté. Peut-être que quelqu'un sera heureux de récupérer mon esprit hypersensible, rêveur, artiste, qui pense trop et s'inquiète de tout?  Peut-être écrira-t'il le livre ou réalisera-t'il le film que mon esprit toujours inquiet et qui envisage les pires possibilités ne m'a jamais permis de réaliser? Mon introversion lui conviendra peut-être mieux qu'à moi qui rêve d'être plus sociable et extraverti?

2 janvier 2159

Le grand jour est arrivé. On va venir me chercher d'une minute à l'autre. J'ai faim, je suis à jeun depuis le repas léger d'hier soir."

2 janvier 2159 Bloc opératoire du laboratoire Braincorp à Paris

- Cartographie neuronale?
- Ok.
- Mémorisation et facultés d'apprentissage?
- Ok.
- Conscience?
- Ok.
- Transfert des données en cours.
- J'espère que cette fois-ci, ça va marcher!
- La dernière fois, on y était presque!
- On lui a demandé d'écrire son journal détaillé pendant combien de temps déjà?
- Un an, jour après jour, il devait décrire sa journée, ses émotions et ses pensées. Plus la biographie détaillée, ses lectures, les films et sorties effectuées, le questionnaire sur ses habitudes et l'examen de son blog et de ses profils sur les réseaux sociaux. - Reste à attendre, désormais.

Compte-rendu de l'équipe du 2 janvier 2159

"Le patient a survécu cette fois-ci. C'est la troisième fois que ça arrive, c'est une réussite en soi. On avance, il a la capacité mentale d'un enfant de cinq ans qui sait lire, écrire et compter. On progresse! Reste à faire disparaître le corps, il rejoindra les autres à l'asile pendant que l'équipe de nettoyage simulera une disparition volontaire et effacera toute trace de communication avec nous."

jeudi 23 mars 2017

Fictions pseudo-scientifiques: Humanissimus


- Bonjour, je suis le professeur Gampe, je vous ai sauvé la vie et je vous ai modifiée pour le bien de la science. Une vie pour une vie en quelques sortes.
- Vous dites ?
- Vous avez eu un accident de voiture et vous n’aviez aucune chance de survivre si je ne vous avais pas sauvée.
- Sauvée comment ?
- Oh, j’ai seulement amélioré la simple mortelle que vous étiez il y a tout juste un mois.
- Vous m'avez fait quoi?
- Je vous ai rendue plus intelligente que le commun des mortels grâce à un serum de mon invention.
- Jamais testé auparavant, j'imagine.
- En effet!
- Et le tout sans autorisation! Qu'est-ce qui vous fait croire que je vais marcher dans votre combine?
- N'oubliez pas, je vous ai sauvé la vie!

  Honorine soupire et demande à rentrer chez elle, satisfaction qui lui est accordée immédiatement et sans discussion. Elle ignore que son appartement, sa voiture et son lieu de travail ont été truffés de caméras pour le bien de l'expérience en cours. A peine assise dans son véhicule, elle commence à pleurer, soulagée; une tempête d'émotions et de pensées la submerge: qui sont-ils? Que veulent-ils? Pourquoi elle? Qu'ont-ils changé? Que va-t'elle devenir? Quelqu'un s'est-il rendu compte de sa disparition?

  Une fois rentrée, chez elle, elle mange et va se coucher. Après un coup d'œil à son agenda et une vaine recherche de son dernier souvenir, Honorine conclut que son accident a eu lieu un vendredi midi, alors qu'elle rentrait du travail; nous sommes dimanche soir, elle a passé un mois dans ce laboratoire. L'arrêt de travail qu'elle tient en main se termine ce soir, elle frissonne en sentant le papier sous sa peau, ce contact lui est désagréable. Son sommeil est agité, elle rêve et ses rêves presque conscients la submergent, le moindre bruit la réveille mais elle parvient à se reposer.

  A huit heures, elle monte dans le bus et est aussitôt assaillie par des informations contradictoires: le parfum de rose de cette vieille dame, l'odeur de transpiration de cet adolescent, le bruit horripilant de ce jeune homme qui joue avec ses clés ou encore les mouvements de ce chien qui cherche une position confortable derrière elle la dérangent. Elle s'assoit contre la vitre et met son baladeur pour s'isoler du bruit environnant. Les yeux fermés, elle se coupe du monde extérieur.

- Bonjour Honorine, vous êtes en retard dès le lundi? On prolonge son week-end?
- Bonjour Hugo!
D'ordinaire, ces mots ne la touchent pas mais Honorine se sent blessée par le ton sarcastique et par le sourire de son patron qui en dit long sur sa désapprobation. La larme à l'œil, elle entre dans son bureau et en referme la porte. La matinée passe rapidement mais elle s'ennuie, le chant des oiseaux par la fenêtre la distrait en permanence dans son travail, elle ne peut s'empêcher d'écouter d'une oreille les conversations dans le couloir. La jeune femme ne comprend pas ce qui lui arrive.

  La journée se poursuit ainsi. Assaillie d'informations et de pensées, la jeune femme perd pied au fil des heures. Comment? Comment un être humain normal peut-il supporter cette tempête de pensées et d'émotions qui tourne en permanence dans sa tête? Un rien la distrait, elle n'arrive à se concentrer sur rien! Le peu de travail qu'elle accomplit est rapidement achevé et pour la première fois de sa vie, elle s'ennuie au travail. Elle voit bien les regards de ses collègues posés sur elle, elle imagine ce qu'ils doivent penser: elle arrive en retard et en plus, elle ne travaille pas!

  Elle capte des odeurs inconnues qui émanent de ses collègues, leurs parfums se mêlent et achèvent de la rendre mal à l'aise. Leurs voix se confondent en une cacophonie qui la fatigue et l'insupporte.

 Le soir venu, épuisée, Honorine rentre chez elle. En passant devant le laboratoire, elle voit de la lumière et entre.
- Bonjour, cette journée a été insupportable. Je capte tout ce qui m'entoure, un flot de pensée continu se croise en permanence dans ma tête, je travaille vite et l'ennui a envahi ma vie. Rendez-moi stupide, ce sera une expérience intéressante pour vous et émotionnellement plus facile à vivre pour moi.

mardi 21 mars 2017

Fictions pseudo-scientifiques: Cryogénie

- Bon, alors, on a un problème, le programme Stella doit décoller dans un an et nos budgets ont été divisés par deux par les singes bureaucrates qui siègent là-haut et ignorent tout de la beauté de l’espace. Mesdames et messieurs des idées ? Qu’est-ce qui coûte cher dans une fusée ?
- Le carburant, l’oxygène et les vivres.
- Combien ?
- La moitié du coût.
- Qu’est-ce qui est indispensable ?
- Le carburant ! Sans combustible, la fusée ne quitte pas le sol pour atteindre l'infini de l'espace et nous ne pouvons pas la ramener sur le plancher des vaches. Il en faut une grande quantité, ça coûte cher à l'achat, ça représente un poids important et cela prend de la place à stocker. Mais nous ne pouvons pas nous en passer.
- Supprimez le reste ! Vous avez six mois ! Pour ma part, je vais continuer à chasser les subventions mais la conquête de l’espace ne fait plus rêver. J'ai épuisé mes relations donc nous comptons sur vous.
Gordon Riy, directeur du programme spatial Stella sortit en claquant la porte, laissant son équipe de scientifique médusée.

- Pourquoi est-ce toujours à nous que l’on confie ce genre de problèmes à régler ?
- Parce qu’on est le « département poubelle », là où échouent les problèmes insolubles des autres services. Et aussi parce que nous sommes entrés dans le programme spatial par la petite porte et que nous n'avons pas le choix, nous sommes payés pour ça. Si nous voulons un jour, avoir la chance de participer à des programmes prestigieux et connaître la gloire, nous devons bien faire notre travail si souvent ignoré mais indispensable.
- Surtout parce qu’on est composés des meilleurs spécialistes dans vingt domaines différents !
- Oui, parce que nous ne sommes que vingt ! Pourquoi a-t’il fallu que ça tombe sur nous ? J’en ai marre de toujours régler les problèmes des autres ! Quand nous confiera-t'on les programmes simples et sans problèmes?
- Ca n'arrivera jamais! Nous sommes dans le département à problèmes.
- Mesdames, messieurs, un peu de calme, je vous prie. C’est la chance de notre vie ! Oui, c’est un « projet poubelle » ; mais imaginez une seconde que nous réussissions ! Envoyer des êtres humains dans l’espace sans air et sans nourriture ? Les programmes spatiaux en rêvent, cette prouesse diminuerait leurs coûts par deux au minimum. Et même si nous échouons, les découvertes que nous ferons nous vaudront des publications dans les revues spécialisées. Et si nous réussissons, à nous les laboratoires de pointe du monde entier ! Nous serons sollicités par le monde entier sur les projets les plus excitants du monde entier. Nous aurons le matériel dont nous avons besoin! Et adieu Gordon-ne-rit-jamais et son département-poubelle !

- Bien l’objet de cette réunion est de réfléchir aux moyens en notre possession pour envoyer des êtres humains dans l’espace sans eau, sans oxygène et sans nourriture. Des idées ?
- La cryogénie ?
- Des hommes miniatures qui sont peu gourmands en ressources ?
- Des robots humanoïdes ?
- Sevrage ?
- Sevrage de quoi ?
- Mais de nourriture et d’oxygène ! Certains ascètes y parviennent ou prétendent y parvenir par la méditation. Faisons méditer nos équipes pour voir si elles peuvent se priver de manger, boire et éliminer leurs déchets durant une longue période !
- D'accord, cette solution me paraît la plus viable et la plus simple à mettre en œuvre.

L’expérience n’est pas concluante. Les scientifiques se penchent sur une autre solution : rendre l’absorption de nourriture plus efficace pour limiter les vivres. L’équipe se penche notamment sur les mitochondries et tente de les modifier génétiquement pour les rendre plus efficientes. Le cycle de Krebs n’a aucun secret pour eux mais toutes leurs théories paraissent irréalisables et ils renoncent.
Gordon-ne-rit-jamais n’a jamais aussi bien mérité son surnom. Trois mois ont passé et le gouvernement menace son département de fermeture avec un remplacement des équipes en place dont lui-même en cas d’échec.
- Bon, comment ralentir le métabolisme d’un être humain ?
- Dormir. Le froid.
- Le manque d’oxygène.
- Le manque de nourriture.
- Nous allons tenter de faire manger moins nos équipes dans une atmosphère avec moins d’oxygène, une température basse et des heures de sommeil rallongées ! Je sens qu’on tient une piste !
L’expérience est concluante. Mais en contrepartie, les équipes de cobayes sont fatiguées et inefficaces. Par manque de concentration, les scientifiques-astronautes accumulent les erreurs, les maladresses et les imprudences. Pourtant, les scientifiques sont fiers de cette avancée et c’est tout heureux qu’ils vont présenter leurs résultats à Gordon. Il étudie les feuillets durant de longues minutes, marmonne des mots incompréhensibles avant de leur rendre la liasse.
- C’est encourageant mais pas suffisant. Rien que l’énergie nécessaire à votre petite installation coûte plus cher que les gains annoncés. Je salue l’idée mais vous pouvez trouver mieux.

Une jeune scientifique énervée tombe sur un canapé, ivre de fatigue et de lassitude après une nouvelle réunion stérile.
- Mais qu’il aille se faire cryogéniser sur Pluton, à la fin ! Des vacances à moins deux cent vingt-huit degrés à respirer de l’azote à pleins poumons lui remettraient le cerveau en place ! Sa demande n'est pas possible! Des tas de projets viables attendent des financements.
- Mais c'est une idée de génie que tu as eue. Pourquoi on ne tenterait pas de les cryogéniser ?
- Ca coûte une fortune ! Les budgets, la ligne politique, tu sais bien !
- Je suis en train de regarder sur internet : de vingt-cinq mille à cent mille euros par corps. Sauf que je suppose que ce qui coûte cher ce ne sont pas les matériaux, c’est la technologie. Fabriquer un caisson pour deux personnes doit être plus rentable que pour un seul individu. De plus, la marge de la société est comprise dans la prix, la location. Si nous achetons ou faisons construire le caisson, nous réduirons les coûts de manière drastique.
- Oui mais les caissons individuels sont une sécurité. En cas de problème, tu perds une victime et non deux.
- De toutes manières, pour le moment, on ne sait pas les réveiller. Et il faut bien alimenter le corps et oxygéner le cerveau, non ?
- On n’est pas forcés de leur brûler le cerveau à des températures plutoniennes. Jusqu’à une température corporelle de vingt-huit degrés, le corps tient le coup. Ca ne nous aide pas. Par contre, nous savons tous que la glace prend plus de place que l’eau. Si on les congèle, leurs cellules vont éclater tout simplement. On oublie la cryogénisation mais on pourrait peut-être habituer les spationautes à vivre à des températures plus basses.
- Ils vont manger plus pour se réchauffer.
- Pas si on les couvre.
- Nous avons déjà essayé.
- Oui, mais pas à vingt-huit degrés !
- D’accord. Ton idée tient la route mais on fait comment pour maintenir le corps à cette température ?
- Je réfléchis ! Caisson, circulation extra-corporelle pour l’oxygène, alimentation par perfusion, sommeil artificiel. Reste l’excrétion et je suis sûr qu’on est bon. On va, en plus, économiser le poids des bagages nécessaires durant le voyage : nourriture, oxygène, activités récréatives, consommables divers et variés, le coût des communications avec la base et les familles. On n’emporte que ce dont on a besoin durant la mission : gain de place, de poids et réduction des coûts.

- Bien, nous avons trouvé la solution. Je prends nos astronautes, je les enferme dans des caissons et je les place en état de sommeil artificiel. Jusque là, on sait faire. Pour le sommeil artificiel, nous en sommes aux balbutiements mais nous allons prendre l’hypothèse selon laquelle le dispositif est parfaitement au point.
- Sauf qu’il ne l’est pas ! En théorie, le système est viable mais seulement sur le plan purement théorique.
- Il vous reste un mois et demi pour que ce soit le cas ! Nous, on construit le reste du module pendant que vous vous consacrez uniquement au sommeil artificiel. Mon équipe est prête à travailler à flux tendus avec les ressources minimales pour allouer l’excédent de notre budget à votre équipe. Et je vous prête tout le personnel dont je peux me passer. Ce projet devient notre priorité absolue.

Un mois et demie plus tard, le module est prêt et une équipe de spationautes en quête de gloire est prête embarquer. La presse a eu vent du projet et le monde entier se passionne pour la mission Cryos. Réduire par deux le coût des expéditions spatiales? Cryogéniser des êtres humains ? Toutes ces expériences n’ont jamais été menées, les frontières de la science ont été repoussées.

Allongés dans le caisson, les humains sont placés en sommeil artificiel pendant que tout le monde s’affaire à brancher les tubes d’alimentation en oxygène et en nourriture à bas débit. Des poches sont installées pour récupérer les déchets organiques ainsi que toute une batterie de capteurs. Tout le monde sort et la température descend lentement dans les caissons. Toujours plus basse, sur les écrans de contrôle, les battements de cœur ralentissent tout comme le rythme respiratoire et la température corporelle. Cette dernière est l’objet de toutes les attentions.
- Trente-six degrés !
Toute l’équipe se regroupe, le programme commence vraiment.
- Trente degrés !
Chacun imagine les fonctions corporelles ralentir. Peut-être que leur inconscient s’affole, sent la mort arriver par hypothermie. Peut-être qu’ils rêvent qu’ils tombent dans de l’eau glacée qui les engourdit lentement.
- Vingt-huit degrés ! Stop, les gars et les filles ! J’ai dit stop, hurle Gordon dans son micro. Vous faites quoi là ? On passe sous la barre des vingt-six degrés ! Dépêchez-vous de me remonter tout ça !
- Vingt-huit degrés, Gordon.
- Des dégâts ?
- Il semble que non, les rythmes cardiaque et respiratoire sont conformes aux prévisions. L’électroencéphalogramme est correct, ils rêvent comme nous l’avions prévu.
- Leur cerveau peut-il être endommagé ?
- Négatif ! Deux degrés de différence ne posent pas de problème surtout durant quelques minutes.
- Tout le monde va se reposer, la deuxième équipe prend le relais.

Deux degrés, deux minutes.

Le voyage se poursuit sans encombre ou presque. Durant cinq ans et neuf mois, les spationautes dorment à une température corporelle de vingt-huit degrés. Ils rêvent la majorité du temps, inconscients de leur état. Ce trop long sommeil artificiel déroute leur cerveau qui ne trouve à analyser que leurs rêves qu’il rend de plus en plus complexes et farfelus pour s’occuper ou leurs souvenirs qui font naître des émotions diverses : peur, regret, joie et espoir. Malgré les évaluations psychologiques et leur longue préparation, les êtres humains dans leurs caissons connaissent des phases de dépression emplies de cauchemars puis d’espoirs de gloire ou d’avancées scientifiques qui valent tous les sacrifices. D’autres fois, ils rêvent qu’ils ne se réveillent pas et qu’à demi-conscients, ils contemplent durant une éternité leur rêve de revenir dans le monde réel.

L’alarme retentit dans la grande salle. Gordon est toujours à son poste, il a mené de nombreux projets à bien mais le programme Stella n’a pas été oublié. Une horloge murale géante égrène le temps qui les sépare du réveil des occupants de la fusée en route vers Pluton. Les premiers hommes sur Pluton, la gloire qui attend son équipe.
- Les gars, l’heure de vérité a sonné. Si on s’est trompés, nous pouvons faire nos cartons dès à présent, notre carrière est terminée. Sinon, à nous la gloire. Les yeux du monde ne sont plus braqués sur nous, ces médias nous ont oubliés passé la phase d’euphorie. Le monde est ainsi fait, les modes se succèdent mais les grands hommes seuls restent fixés vers leur but sans jamais dévier. Nous sommes de grands hommes, nous sommes de ces hommes et de ces femmes qui ont fait l’histoire ! Prêts ? Connectez-nous à la fusée !
Un silence de mort envahit la salle. Les minutes s’écoulent. Puis les heures.
- Il reste combien de temps, les gars ?
- Gordon, il nous faut deux heures et quarante-deux minutes pour nous connecter. Patience, il reste vingt-deux minutes. Prends un café au lieu de stresser tout le monde !
- Quoi, tu oses me parler ainsi ? Je suis ton supérieur !
- Peut-être mais tout le monde est sur les nerfs alors n’en rajoute pas. Bon, allez ! Tournée de café, de thé, d’eau, de jus d’orange ou de tout ce que vous voulez mais on ne va pas rester plantés devant cet écran pendant vingt minutes à angoisser pour rien. On ne peut rien faire, la mission réussit ou pas !

- La base à la mission Cryos, vous m’entendez ? Ici, Gordon, votre chef bien-aimé qui vous parle.
Un regard vide surgit devant la caméra. Tout le monde saute de joie, ils sont vivants !
- Heureux de vous voir en vie les gars. Comment vous sentez-vous ? Nauséeux ?
Un autre visage se rapproche du premier, tout aussi inexpressif. Les deux visages se regardent et se parlent par geste. Un sourire finit par illuminer leur visage et ils regardent de nouveau l’écran. Mais rien ne vient, ils ne parlent pas.
- On leur a gelé le cerveau !
- Non, ils mettent du temps à reconnecter leurs neurones !
- Je ne crois pas.
- D’accord, la mission a échoué comment on les ramène ?
- On les remet dans les caissons !

Durant des heures, l’équipe tente de faire comprendre à l’équipage du vaisseau comment regagner le caisson. Les dessins, les mimes n’y font rien. L’équipe au grand complet se consulte pour trouver une solution. Ils ne vont quand même pas les abandonner là !
Au bout d’une journée d’angoisse, les passagers de la fusée finissent par se recoucher dans leur caisson pour dormir.
- On enclenche la cryogénisation d’urgence avec anesthésie préalable, oui, celle prévue en cas de problème si l’un des habitants de la fusée devenait fou.
De puissants anesthésiques viennent percer les combinaisons et endormir les corps contenus à l’intérieur. La cryogénisation recommence lentement.
- On ne fait pas une bêtise en les cryogénisant de nouveau ? Cette procédure pourrait se montrer violente pour leur corps et leur cerveau.
- Au point où on en est, les ramener le plus vite possible est notre priorité ; cette mission est un échec total.

Le voyage de retour commence. Le compte à rebours a repris au début dans la spacieuse salle de contrôle mais tout le monde l’ignore désormais. Cette mission est un échec retentissant et chacun l’oublie. La mission se fait oublier d’elle-même : les données sont enregistrées automatiquement, les alarmes sont silencieuses et toutes les tâches de retour sont automatisées et gérées par les ordinateurs du vaisseau spatial et de la salle de contrôle.

- Les gars, la mission Cryos ne devrait pas tarder à rentrer dans l’atmosphère terrestre. Appelez-moi l’équipe médicale d’urgence, je veux qu’ils soient là avant eux.
- D’ici combien de temps ?
- On a trois heures. Et encore, parce que je suis là ! Qui, à part moi, à regardé ce fichu compte à rebours ces derniers temps ? Je m’en doutais ! Au boulot, les gars !
Les mains sur les hanches, Gordon secoue la tête. Son équipe est composée des meilleurs mais parfois, il se demande ces génies sont loin d’être géniaux.

Le vaisseau est en approche et la salle retient son souffle. Les trois dernières heures, l’équipe a fait une orgie de café et de thé, refait tous ses calculs et compulsé les données collectées lors du voyage. Ils ne savent pas ce qui les attend et c’est avec anxiété qu’ils attendent l’ouverture des portes. Rien ne bouge à l’intérieur du vaisseau.
- Pourquoi, rien ne bouge ?
- Il faut attendre la fin de la décongélation, euh, de la phase de réveil suite à la cryogénisation.
- Ca va prendre combien de temps ?
- Gordon, nous n’avons pu l’enclencher qu’une fois le vaisseau posé sur le sol terrestre. La phase de réveil vient tout juste de commencer.

Une longue demie-heure plus tard, la porte du vaisseau s’ouvre enfin, commandée à distance car les passagers n’ont pas actionné l’ouverture.

- Salut, les gars. Pardon, les gars et les filles. Vous me reconnaissez ? Ici, Gordon, votre chef bien-aimé !
- Salut, Gordon. Qu’est-ce que tu fais là ? On ne va pas tarder à s’allonger dans nos caissons pour la cryogénie ! La mission est annulée au dernier moment ?
- Je crois que je peux prendre ma retraite ! L’agence spatiale ne me pardonnera pas l’échec du projet Stella. Docteur, on peut en tirer quelque chose ? Les gars, vous revenez de votre mission. On va vous faire passer des examens. On pourra peut-être trouver des informations malgré l’échec de cette mission. On va vérifier que vous allez bien, vous allez manger, dormir et appeler vos familles. On verra plus tard pour le reste.

Une semaine plus tard, un entretien est organisé.
- On ne se souvient de rien. On se souvient du caisson, de la température qui diminue mais entre le réveil et notre arrivée ici, c’est le trou noir.
- Le médecin a dit que vous êtes en parfaite santé, votre cerveau n’a pas été endommagé de manière durable. Vous pouvez rentrez chez vous. Mais jamais vous ne repartirez dans l’espace.


lundi 20 mars 2017

Nanowrimo Novembre 2016: La couronne d'émeraude

Il était une fois, dans un pays lointain, un roi immensément riche. Un jour qu'il était à la chasse, sa couronne d'or tomba sous les sabots de son cheval et fut écrasée par l'animal. Le roi fit donc fabriquer une couronne bien plus belle, une couronne digne d'un roi.

Il fit venir les meilleurs bijoutiers du royaume. Il les reçut dans sa salle d'audience et leur dit qu'il souhaitait une nouvelle couronne et qu'au lieu de sa couronne d'or simple précédente, il voulait une couronne d'émeraude. Le bijoutier qui lui présenterait la plus belle couronne se verrait payer le prix convenu avec un supplément de dix mille florins d'or. Il leur donne un délai d'un an pour lui présenter une couronne digne d'un roi (en ce temps-là, le cheval était le moyen de transport privilégié).

- Une couronne d'émeraude ?, se demanda le jeune bijoutier. Comment accomplir un tel prodige ? Il fit de nombreux croquis mais il ne voyait pas comment tailler une telle émeraude ni où la trouver. Car voyez-vous, il n'avait pas compris la consigne et l'appliquait à la lettre. Néanmoins, il alla voir un lapidaire pour le questionner.
- Je n'ai jamais entendu parler d'une telle pierre. Crois-moi, mon jeune ami, ça n'existe pas, tu devras t'y prendre autrement pour réaliser ton projet. Je peux toujours te montrer mes pierres les plus grosses que j'ai déjà taillées.
Le jeune bijoutier passa la journée à manipuler les pierres, les agencer, dessiner des croquis dans l'atelir du lapidaire. Il était un bon client de la boutique, le lapidaire escomptait une grosse commande, aussi il lui prêta volontiers son bureau.

Toute la journée, le jeune bijoutier enchaîna les croquis. Comment créer une couronne d'émeraude ? Sa première idée était de coller les pierres entre elles, mais il ne voyait pas comment faire. Il avait également songé à les tailler de manière à ce qu'elles s'emboîtent parfaitement mais ce travail demandait de la minutie et il ne lui restait que onze mois pour mener son entreprise à bien.

Il décida de traverser la mer pour aller visiter une reine très sage qui possédait disait-on un dragon. Il pensait que le feu du dragon, plus brûlant que celui d'un volcan pourrait fondre la pierre et qu'il pourrait la travailler aisément. Le voyage lui prit un mois et il lui fallut une semaine pour obtenir audience auprès de la reine. Intriguée, la jeune reine accepta l'expérience. Mais elle fut un échec cuisant. Le dragon fit fondre l'émeraude, en effet. Mais la pierre ne résista pas et il n'en resta qu'un amas carbonisé. Dépité, il remercia la reine, certainement aussi déçue que lui. Lorsqu'il vit la cité flottante s'éloigner à l'horizon, il se dit qu'il devait mettre à profit le voyage pour trouver une solution. Désormais, il en faisait une affaire personnelle ! Il sortit à peine durant tout le voyage et travailla d'arrache-pied. Mais quand il posa le pied sur le quai, il avait une idée et peu de temps pour la réaliser.

Il passa commande auprès de son lapidaire de bijoux taillés avec la plus grande précision. Il lui laissait à peine trois mois pour le réaliser sans le moindre retard, dut-il travailler jour et nuit. Il dormit mais mit ses apprentis à contribution qui ne dormirent pas plus que lui. Il leur fit la promesse que s'ils réussissaient, ils seraient riches. Les pièces furent livrées à la date fixée, le jeune bijoutier fut ravie de cet travail d'orfèvre digne des plus grands noms de la bijouterie. Restait à savoir si son projet était viable...

Aussitôt rentré chez lui, il étala son croquis sur la table, les pièces et commença à les emboîter minutieusement les unes avec les autres. Son croquis était très précis, il lui avait fallu tout le voyage pour le réaliser, emboiter et sécuriser l'assemblage des pièces. Et reporter les pièces sur le papier. Au matin, il tenait sa plus belle réalisation entre ses mains : une couronne d'émeraude.

Il lui restait tout juste une semaine pour se rendre au palais du roi. Son cheval le plus rapide fit le trajet dans le temps imparti. Il s'offrit des auberges réputées afin d'éviter les voleurs et il ne quitta pas les routes les plus fréquentées dans le même but. Jamais il ne chevauchait dans le noir, dès que le soleil entamait son déclin, il cherchait une auberge où dormir et il ne repartait qu'une fois le soleil haut dans le ciel. Au moins, il jouissait de longues nuits de sommeil reposantes et son cheval lui en était reconnaissant.

Le jour dit, il se présenta à la porte du palais royal où une foule de bijoutiers se pressait des boites sous le bras ou tenues avec délicatesse. Impressionné, le jeune bijoutier reconnut les plus grands bijoutier du royaume et il vit même Dame Roseline, de tous les joailliers du royaume, elle était la meilleure. Ses créations étaient les plus délicates et aériennes qu'on vit jamais à cette époque. Tout à coup, il fut moins sûr de lui et il s'assit dans un coin, sa boîte sous le bras, se faisant le plus petit possible.
Les plus grands furent d'abord appellés auprès du roi, leurs créations auraient contenté le plus exigeant des rois mais même les fils d'or ou de platine les plus fins ne trouvèrent pas grâce aux yeux du roi. Enfin, le jeune bijoutier fut appelé, le dernier car le moins connu et de la plus basse condition de tous les bijoutiers présents.

Gauche et intimidé, il se présenta devant le roi. Il avait mis ses plus beaux atours mais face à la cour réunie, il sentait miséreux. Il se nomma, fit la révérence et présenta le fruit de son travail au roi, se sentant ridicule d'avoir eu une telle idée et d'avoir contracté une telle dette qu'il passerait sa vie à rembourser pour un instant de folie. Il vivrait dans la pauvreté toute sa vie sauf à payer le lapidaire pour débiter son ouvrage et limiter sa dette colossale. Mais il savait avoir réaliser un chef-d'oeuvre qu'il lui peinait de voir détruire.

Le roi prit la couronne et l'examina. Oui, elle était d'émeraude pure et les pièces façonnées avec précision étaient agencées de manière à ce que l'ensemble tienne ensemble sans aspérité. Le roi avait sa couronne d'émeraude que le monde entier lui enverrait bientôt.
- Joaillier, quel est ton prix ?

Timidement, le jeune bijoutier annonça le prix de ses dépenses et des heures de travail passées sur ce bijou unique. Le roi claqua dans ses mains et fit venir son grand trésorier :
- Je te remets le prix de cette couronne, auquel j'ajoute les dix mille florins d'or promis et je te fais duc d'Emeraude. Dans ta région, il y a de riches terres sous administration royale, elles sont inoccupée, je te donne un domaine de mon patrimoine personnel en héritage. Le domaine est petit mais riche et fort plaisant. Je nommerai une équipe chargée de t'épauler dans cette tâche.
Abasourdi, le bijoutier remercia et fit une timide révérence.

Le roi tint sa promesse et le bijoutier put enfin exercer son talent sans restrictions. Ses œuvres émerveillèrent le monde entier mais sa plus grande réussite fut certainement une couronne d'émeraude, unique au monde.

Océan, champ d'azur

L'océan infini
S'étale comme un champ de fleurs infinies,
Un drap de velours tantôt bleu, tantôt gris
Ou vert selon ses envies.

Le navire fend les flots
Et déchire les eaux
Qui s'écartent tels des oripeaux
D'une princesse qui ôte son manteau.

dimanche 19 mars 2017

Les contes flamboyants de la forêt: Pour un escarpin de verre


  Alexandrine que toute sa famille appelle Sandrinon est une jeune fille rêveuse, elle rêve du grand amour et se délecte des contes de fée. Son plus grand souhait serait d’épouser un prince ou à défaut, un homme beau, riche et puissant. Elle admet être un peu conditionnée par son entourage sur ce point. Un soir, en rentrant d’une soirée en boîte de nuit où elle n’a pu que constater la médiocrité de ses prétendants, elle prie son ange gardien de lui donner un indice pour trouver l’amour. Penché sur son petit nuage, l’ange gardien l’entend et réfléchit à un stratagème pour la conduire à son âme sœur. 

   Le lendemain, un dimanche ensoleillé, Sandrinon feuillette un livre qu’elle a retrouvé sous son lit. Dans ce livre de contes, elle cherche un indice pour trouver l’amour. Elle ne se voit pas faire fabriquer une peau d’âne synthétique pour se cacher dessous lors du bal d’halloween ou aller sauver des hommes de la noyade en espérant trouver son prince. Elle réfléchit et elle décide d’organiser un bal costumé pour ses vingt ans en disant à ses connaissances d’inviter leurs connaissances. 

   Un mois plus tard, la fête bat son plein mais Alexandrine ne trouve pas chaussure à son pied. Elle en parle avec ses amis, Pierre-Armand et Juline. Pierre-Armand lui propose de lui présenter son cousin qui vit en Amérique mais elle lui répond que l’Amérique n’est pas la porte à côté et que son cousin ne vient que dans six mois. Juline revient avec un verre de punch à la main et surprend leur conversation :
- Tu sais le bal d’été se déroulera au palais comme tous les ans. Mon père qui connaît bien l’intendant du palais a obtenu des invitations, nous pourrions nous y rendre. J’ai prévu d’y aller avec le frère de Pierre- Armand.
- Comment ? Tu sors avec Camille ? Et tu ne me l’as pas dit ?
- Ca date du pique-nique de dimanche dernier, il n’y a rien de précis. Et comme ce soir, il était au badminton, je pensais t’en parler au bal où il sera mon cavalier.
- Bon, allons danser ! répond Alexandrine qui veut avant tout s’amuser. 

  Ce soir-là, elle rentre chez elle, ivre de fatigue et les pieds douloureux.
- Angelin, je voudrais trouver le grand amour. Je sais que tu m’en veux de t’avoir donné ce ridicule prénom mais s’il te plaît, aide-moi.
Son ange gardien qui l’observait penché sur un nuage en désapprouvant sa conduite s’apprêtait à lui envoyer un mal de tête pour lui apprendre à se modérer. Il suspend son geste et réfléchit. Alexandrine rêve, une phrase hante son rêve cette nuit-là. « Trouve le soulier de vair ».

  Au réveil, la tête douloureuse, elle se dit qu’un soulier reste toujours plus élégant qu’une pantoufle, même si elle n’apprécie pas vraiment la fourrure. Et elle trouve dommage de payer une centaine d’euros pour des chaussures qu’elle n’osera jamais mettre si elle considère leur prix. Mais bien décidée à trouver l’amour, elle s’habille d’un jean foncé et d’un chemisier brodé avant de prendre sa berline pour aller en ville chez un négociant en fourrure.
Dans la boîte aux lettres, elle trouve une invitation au bal de printemps. Le comte de Laforest veut fêter la fin des études de son fils aîné. Alexandrine sait bien qu’il s’agit surtout d’une occasion de tenter de marier son fils à des jeunes filles de la bonne société et c’est tout sourire qu’elle se rend chez le fourreur. Rayonnante, elle flâne au soleil sur le chemin du retour : ses pantoufles seront prêtes pour le bal. 

- Tu as trouvé ta tenue pour le bal ?
- Non, je ne sais pas ce qui irait avec mes chaussures.
- Elles sont comment ? demande Camille en s’installant à leur table.
- C’est un secret ! répond fièrement la jeune fille.
- Attends, tu as acheté les chaussures que nous avons vues l’autre fois dans ce magazine de mode ? Les chaussures en peau de serpent du Tibet ? Tu as trouvé une robe qui va avec ?
- Juline, tu as tout faux ! Bon, j’y vais, je reprends le travail dans cinq minutes. On se voit au bal !
Elle avait oublié la robe ! Elle passe sa garde-robe en vue, rien n’ira avec ses chaussures. Celles-ci sont prêtes, elle court les récupérer. Elle avait demandé des pantoufles, l’artisan en a fait un mélange d’escarpin et de pantoufle de vair. Ravie, Alexandrine sort sa carte bleue et paie une petite fortune cette pièce unique avant de courir trouver une robe adaptée. Une courte robe bustier bordée en haut et en bas de fourrure fait l’affaire, elle sera habillée de noir, cette couleur élégante compensera l’étrangeté de ses chaussures. 

  Ce soir-là, très en retard, elle trouve un taxi qui la dépose devant le palais, son invitation à la main, elle n’a pas longtemps à attendre pour entrer. Elle cherche ses amis du regard et court les rejoindre.
- Cette robe vient de la maison Verrier ? Je reconnais leur griffe.
- Salut, Armand ! Oui, c’est une pièce unique.
- Je ne suis pas en dernière année d’études pour devenir styliste pour rien. Tu es venue en chaussons ?
- Non, ce sont mes chaussures !
- On t’a laissée entrer comme ça ?
- Euh, oui…
- Salut, dit Juline en arrivant un verre à la main. Tu est magni…, euh, très jolie. Tes chaussures, comment dire ? On dirait que tu as marché sur des rats morts.
- C’est une pièce unique faite sur-mesure !
- Tu as fait une faute de goût, chère amie, conclut Armand. Bon, allons danser !
Dans la foule, les danseurs n’ont d’yeux que pour ses chaussures. Alexandrine s’en veut de s’être laissé guider par des rêves. Tous les regards convergent vers ses pieds ; autour d’elle, on se chuchote  des choses en riant. Elle n’en peut plus et fuit vers la sortie en plantant là ses amis. 

  En pleurs, elle fuit dans la forêt proche, elle a perdu une pantoufle dans sa course mais elle ne l’a pas ramassée. Frissonnante, elle suit le chemin ; un air de flûte l’attire vers les bords de la rivière.
- Que fais-tu là, petite ? Pourquoi pleures-tu ?
- Je voulais trouver le grand amour, j’ai fait confiance à mon ange gardien et fait créer des pantoufles de vair mais je n’ai réussi qu’à me ridiculiser.
- Va savoir où te mène ton destin. Sèche tes larmes, je vais t’offrir un présent pour apaiser ton chagrin. Rentre chez toi, il fait froid.
Il lui tend une rose de verre qui brille sous la lune. Elle murmure un remerciement et rejoint la route pour trouver un taxi qui la ramènera chez elle. Dans la voiture, elle éteint son portable, ignorant les messages laissés par ses amis. 
- Tu vas bien ? Tu nous as inquiétés…
-  Juline, ça va, je me suis sentie mal. Comment était la soirée ?
- Le bal était très réussi. Nous sommes rentrés à cinq heures du matin. Oh, cette rose est magnifique, on dirait une vraie, tu l’as achetée où ?
- Un faune me l’a donnée. Oh, non, tu pouvais faire attention, tu as cassé la tige !
- Je suis désolée, je paierai la réparation. 

  Dans l’après-midi, Alexandrine recherche sur internet un artisan verrier. Un jeune artiste vient de s’installer en bas de la rue, elle enveloppe soigneusement la rose brisée et se rend à la boutique.
- Bonjour ! J’ai brisé une rose de verre et…
- Bonjour, je suis à vous dans un instant, mais allez-y, faites un tour, j’en ai pour cinq minutes.
Elle fait le tour de la boutique, des objets délicats et colorés s’offrent partout à sa vue. Et puis, elle les voit : deux escarpins de verre qui semblent à sa taille. La jeune fille se mord la lèvre et jette un regard vers l’atelier, le verrier semble occupé, elle prend délicatement les escarpins et les essaie.
- J’ai jeté un rapide coup d’œil à votre rose, vous l’aviez laissée sur la table, ce n’est rien du tout à réparer. J’ignore qui l’a fabriquée mais c’est un chef-d’œuvre. Que faites-vous ? C’est fragile ! Oh, ils vous vont à la perfection, on dirait que je les ai faits pour vous.
- Je suis désolée, j’ai vu ces escarpins en rêve et…

  En levant les yeux, un fin visage encadré de longs cheveux blonds et raides lui fait face. Mais ce qui l’attire, ce sont deux yeux d’un bleu profond qui la fixent. En rougissant et en tremblant un peu, l’artisan verrier lui tend la rose rouge.
- J’allais sortir déjeuner, je vous invite au restaurant chinois juste en face ? Puis, nous reviendrons discuter posément de votre achat, j’ai peu de clients le lundi après-midi.

samedi 18 mars 2017

Fictions pseudo-scientifiques: Cryonie


  L’alarme, j’entends une alarme. Des bruits de pas, des voix. L’alarme se tait. Le silence. Je flotte, je rêve. J’ai froid, je suis gelé, mon corps entier me picote, je ne peux pas bouger, mon corps est engourdi. Que se passe-t’il ? Je ne me souviens de rien. Je suis gelé jusqu’à la moëlle des os. Je ne suis que douleur. 

  Je frissonne, je claque des dents, mon corps est engourdi mais ma volonté commence à reprendre ses droits. Mon cerveau tente de faire bouger mes muscles mais ils ne répondent pas. Le silence. Je ne me souviens de rien.

   Le temps passe, j’ai mal partout mais je commence à bouger timidement, j’ai ouvert les yeux. Tout est noir et silencieux. J’explore mon environnement, tout est lisse, le plafond est bas, deux murs m’enserrent. Où suis-je ? Qui suis-je ?

   Mon cerveau semble engourdi, je ne me souviens de rien. Le stress est immense mais mon cœur bat lentement. Ce n’est pas normal. Mes muscles ont du mal à soulever mes côtes, j’ai du mal à respirer et à bouger. Le froid s’estompe peu à peu et mes doigts engourdis retrouvent une mobilité suffisante pour entamer une minutieuse exploration. Une surface totalement lisse court sous mes doigts, on dirait un tube. Il n’y a pas de sortie. L’air commence à manquer. J’ai envie de hurler et de pleurer mais je dois économiser l’air.

   J’examine les jointures du couvercle, je suis bien entré quelque part, ce cylindre n’a tout de même pas été construit autour de moi et le froid s’est rapidement estompé, il y a forcément une issue. Et de l’air, du moins, j’espère. Un minuscule bouton se trouve au centre du couvercle, je manque d’air, j’étouffe. J’appuie de toutes mes forces. Je suis gelé.

   Lentement, une faible lumière entre dans le tube, je suis soulagé mais j’ai peur. Peur d’être déçu. J’avance vers la lumière, un rail a dû s’actionner. De l’air, enfin, je respire, je pleure de joie et j’attends les yeux fermés.

   Enfin, j’ouvre les yeux. Une faible lumière agresse mes yeux mais je m’y accoutume peu à peu. Je tente de me redresser mais mes muscles atrophiés ne me portent pas, je tombe, j’ai mal. Allongé sur le sol, j’attends. Quoi ? Je l’ignore. Enfin, je tente de me redresser sans succès, je me traîne jusqu’à une porte. Elle est fermée mais je remarque un interrupteur. Je m’aide du mur pour me hisser jusqu’à lui et l’actionner. Des centaines de tubes m’entourent. Dans un coin, je remarque une table, je me traîne jusqu’à elle. Je n’ai pas de vêtements, j’ai froid et je n’ai rien pour me couvrir.

   Je ne sais pas comment, j’ai réussi à m’asseoir sur la chaise. J’ai trouvé un cahier où je consigne ces lignes, je n’ai pas oublié comment écrire. Et lire. Tout est silencieux alors je fouille le bureau.

BUREAU :

Manuel de cryogénisation
 Consignes de sécurité
Quelques crayons
Un cahier vierge
   Je note le numéro du caisson que j’examine. J’ai été cryogénisé. Pourquoi ? Par qui ? J’ai lu dans le manuel qu’au bout de vingt minutes si le caisson s’est accidentellement ouvert ou si l’ouverture d’urgence a été actionnée, une alarme sonne. J’évalue mal le temps qui passe mais j’appuie sur le bouton « C » et le caisson se referme puis se remet à produire du froid, enfin peut-être. Je suis soulagé, j’ai besoin de solitude. J’examine les autres caissons, ils n’ont rien de particulier alors je quitte la pièce après une fouille minutieuse, je ne pourrai pas rentrer car un badge est nécessaire pour ouvrir la porte de l’extérieur. Je range les manuels, j’éteins la lumière et je sors.

   Dans un vestiaire proche, je trouve des toilettes, j’en avais bien besoin, ma vessie s’est remise à fonctionner, c’est douloureux. Je me lave sommairement au lavabo, je me délecte de l’eau chaude mais j’ai froid, un pull et un pantalon abandonnés là, bien que trop grands font l’affaire de manière provisoire. Le bâtiment semble désert mais je me méfie. J’ai faim.

   Je trouve le poste de sécurité, le gardien n’est pas là, il a dû aller faire sa ronde car les caméras sont allumées, il y a quelqu’un qui veille. Soulagé, je remarque que les caméras ne filment que l’extérieur du bâtiment. Mais je dois trouver une autre porte de sortie.

   « Privé », ce panneau annonce la salle d’archives, je trouve mon dossier et je prends de notes sur mon cahier.

« Sujet 23 512

Volontaire : Non Condamné : Oui

Maxime VUELTO a été condamné en 2 124 à la cryogénisation pour avoir participé à une manifestation contre le régime.

Sujet masculin de 16 ans, né le 25 mai 2 108 à Paris, étudiant en lettres classiques. Pas de famille. Dernière adresse connue : 12 rue du moulin bleu à Sainte-Marie.

L’opération s’est bien déroulée. Groupe sanguin : A + Maladies : Néant Signes particuliers : Néant. Bonne santé générale.

Observations : Bon état général, ne posera pas de problème de conservation. »  

Ma vie résumée en moins de dix lignes et je n’en sais pas plus. Je fouille la salle d’archives rapidement, je trouve un dossier sur le bâtiment et les codes des alarmes ainsi que celui pour déclencher un réveil généralisé. Je retrouve la salle d’où je viens et j’entre le code pour « réveil rapide avec ouverture programmée ». Je laisse la lumière allumée ainsi qu’une brève note sur le bureau qui explique la situation ainsi que le code de sortie et un plan sommaire à mes compagnons de cryogénisation. Ils se débrouilleront bien sans moi! 
  La sortie est devant moi, je tape le code le cœur battant ; et s’ils l’avaient changé. La porte s’ouvre en silence, j’espère qu’il n’y pas de grille. Mais non, nous sommes en pleine campagne, en plein milieu de la nuit. J’ignore où je suis mais j’ai une destination : 12 rue du moulin bleu à Sainte-Marie.
  


vendredi 17 mars 2017

Les contes flamboyants de la forêt: Le nain Sylvien

  J’ai rencontré l’autre jour une créature étrange lors d’une promenade en forêt. Je marchais les yeux rivés vers la cime des arbres et j’ai perdu mon chemin. Un dimanche pluvieux, la forêt est déserte même si je suis un vieux grincheux qui aime patauger dans la boue avec ses grandes bottes de caoutchouc. Je suis un vieux grincheux, mais surtout un vieux rêveur qui a fini par se perdre.
  Je n’avais pas pris garde au fait que les panneaux indicateurs n’étaient pas plantés tout le long du chemin que j’ai fini par perdre. J’ai mis une heure à me rendre compte de mon erreur et j’ai rebroussé chemin droit devant moi. Hélas, j’étais certainement dans la bonne direction mais cette bonne fortune ne m’empêchait pas d’être perdu. Je marchais dans la mousse en faisant craquer les branches sous mes pas et je  murmurais : Personne ne peut donc m’aider ? C’est à ce moment là que Sylvain a surgi devant moi.

  Interdit, j’ai étudié ce curieux personnage : il faisait la moitié de la taille d’un homme adulte et était vêtu de vert. Sa longue barbe blanche lui donnait la mine d’un sage surgi d’un autre temps. - Es-tu perdu ? - Oui. - Et où te rendais-tu ? - Je voudrais retrouver ma voiture. - Je m’appelle Sylvien et je vais te reconduire d’où tu viens. Suis-moi, homme des villes.
  Comme je n’avais pas de meilleure solution, je l’ai suivi, faute de mieux. Le nain me raconta son histoire, il vivait ici depuis plus de mille ans et il avait pour tâche de reconduire les imprudents qui s’égarent dans ces bois. Ce n’est plus comme autrefois, aujourd’hui, la forêt est petite, les chemins sont tracés et les gens les suivent en général. Et surtout, les gens ne croient plus que des créatures de légendes puissent leur être d’un quelconque secours. Les nains sylvains s’ennuient, faute de voyageurs égarés à aider. Il n’a cessé de me répéter combien, il est heureux de cette rencontre.

 Une demie-heure plus tard, nous avons atteint la lisière de la forêt et je retrouvais ma voiture.





jeudi 16 mars 2017

La chanson de Sublecto


Je suis le monstre sous ton lit,
De ma patte griffue,
J’ai cherché à attraper ta cheville,
Chaque fois que j’ai pu.
 
Refrain :
Je suis Sublecto,
Le monstre sous ton lit,
Je ne suis pas beau
Mais je veux être ton ami.
 
Quand je me suis levé dans le noir de ta chambre,
Pour te parler, paré de mon plus beau sourire,
Tu as hurlé et appelé ta maman.
Moi, de dépit chez moi, je suis retourné me tapir.
 
Refrain
 
Oui, je suis grand, poilu,
Avec de grandes dents
Et des griffes pointues,
Et une fourrure d’un bleu ardent.
 
Refrain
 
Je voulais juste qu’on soit amis,
Triste, je te laisse cette lettre mal écrite
Avant de me chercher un autre nid,
Où j’espère qu’un enfant me tendra la patte.
Adieu !