5
ans
La
petite fille accoudée à sa fenêtre lève les yeux vers les étoiles
qui scintillent dans le ciel et elle cherche sa patrie des yeux.
-
J'ai été envoyée sur Terre avec une mission et un jour, je
repartirai vers ma planète d'origine, Mars la rouge. songe-t'elle
avant de rejoindre son lit où elle se pelotonne sous la couverture,
son ours en peluche serré contre son cœur.
Le
lendemain, elle voit la femme d'âge mûr qui lui fait face, les yeux
emplis d'inquiétude.
-
Mina, qu'as-tu représenté sur ce dessin?
-
Le pays d'où je viens...
-
Et où est-ce? Le Sahara?
-
Non, la planète Mars, c'est pour ça que le sable est rouge comme le
sang.
-
Bien sûr. dit la maîtresse, perplexe en reposant le dessin près de
l'enfant qui se remet au travail sur son dessin.
12
ans
-
Les martiens vivent sous la surface de la planète, en profondeur,
c'est pour ça qu'on ne les a pas encore trouvés.
-
Tu racontes n'importe quoi, il n'y a pas d'eau et d'atmosphère sur
Mars, je l'ai lu dans le Science et Vie de mon père!
-
Louis, je t'ai déjà expliqué qu'il reste des sources en
profondeur, sous la surface. dit la jeune adolescente en levant les
yeux au ciel.
-
Bien sûr, que les sondes spatiales et les missions d'exploration
n'ont jamais découverts.
-
Pour le moment et les martiens savent se cacher pour ne pas être
repérés.
Perplexe,
son camarade de classe ne répond rien et il regarde son amie avant
de hausser les épaules.
-
Tu devrais arrêter avec ces histoires, on va te prendre pour une
folle, tu vas finir à l'asile. Je suis ton ami mais parfois, cette
obsession me fait peur et je m'inquiète pour ta santé mentale.
Mina
baisse la tête, laissant ses longs cheveux blond doré masquer son
visage crispé dans son effort pour retenir des larmes.
20
ans
-
J'ai encore rêvé de là-bas cette nuit. soupire la jeune fille en
s'extirpant du lit.
Elle
prend un carnet qu'elle garde toujours auprès d'elle et elle
griffonne le paysage qu'elle a vu en rêve.
-
Tu en as encore rêvé? interroge Louis en regardant son amie dans
les yeux.
Ses
traits fatigués alors qu'il s'assied à côté d'elle dans le café
où ils ont rendez-vous l'alerte mais il se mord la langue pour ne
pas insister.
-
Oui, je sais que tu ne me crois pas mais c'est la vérité. J'ai
retrouvé certains lieux en photos dans des magazines.
-
C'est ton imagination, tu les as vues en photo et ton esprit te les
as restitués.
-
Oui, mais les sensations? Le vent glacé qui m'enveloppe et surtout
sa vitesse si forte.
-
Tu n'es pas frileuse, c'est vrai mais de là à supporter des
températures négatives et inhumaines, il y a une marge. Aucun être
humain ne peut y survivre sans combinaison, tu le sais très bien.
Bien, et tes examens, ça a donné quoi ?
25
ans
-
Tu es la nouvelle pigiste?
-
Oui, je m'appelle Mina.
-
Moui, peu importe, vous ne restez jamais longtemps ici. Trouve-toi un
sujet, enquête et ponds un article. Tu as un mois pour ça, s'il est
bon, on le publie dans le magazine et on te fait un contrat de trois
mois; sinon, c'est la porte. Vu? Et pour les notes de frais, ne rêve
pas, ton budget va être serré, tu vas devoir faire des économies.
La
jeune fille grommelle en s'installant à son bureau. Elle regarde
autour d'elle et elle soupire. Un ordinateur portable un peu ancien,
un agenda papier, des blocs-notes et des crayons composent son
environnement de travail. Elle fouille le tiroir puis l'ordinateur à
la recherche d'une idée mais elle ne trouve rien à l'exception des
codes de la boîte email.
-
remplacant1@journalrégional5587.com; quel manque d'originalité et
de personnalité. souffle-t'elle en commençant à trier les
courriers électroniques qu'elle parcourt rapidement.
Elle
note que bien des pigistes se sont succédés avant elle et qu'ils ne
restent pas longtemps en poste.
-
Sauf que j'ai besoin de ce travail pour lancer ma carrière. Je dois
trouver un sujet pour mon article, d'après mes souvenirs de
l'entretien, il doit faire une page entière pour commencer. Pour
remplir le magazine comme me l'a dit le chef du service rédaction.
dit-elle tout haut avant de se reprendre mais il semble que personne
dans les bureaux à côté ne lui prête attention.
Après
deux jours de réflexion, alors que le temps manque, Mina commence à
écrire sur un sujet qu'elle connaît bien: Mars. Elle entreprend de
narrer la vie sur la planète rouge pour gagner sa vie et vivre de sa
passion.
-
Je suis content, Mina, c'est original et bien écrit, nos lecteurs
veulent lire des choses originales. Il sera publié la semaine
prochaine. Tu as deux semaines pour écrire la suite. Si ça marche,
tu continues sinon, tu devras trouver autre chose après le deuxième
article.
L'apprentie
journaliste acquiesce, heureuse et elle se remet au travail. Le jour
de la sortie du magazine, elle l'achète avant d'aller au travail et
elle le feuillette discrètement dans le bus. Elle passe rapidement
sur des articles parlant de fantômes, d'enlèvement par des
extraterrestres, de fantômes ou de sorcellerie et autres articles
pseudoscientifiques.
"Je
viens d'un monde que tous croient froid et mort mais je sais qu'il
n'en a pas toujours été ainsi. Je viens d'une autre planète, celle
que l'on nomme la planète rouge, la planète qui porte le nom du
dieu romain de la guerre, je parle de la planète Mars. Je me
souviens y avoir vécu, lorsqu'elle abritait la vie, je me souviens
de ses routes, de ses constructions souterraines et des êtres qui y
vivaient. J'y ai vécu et aujourd'hui, elle vit en moi, pour toujours
et à jamais. "
Fébrile,
elle cherche son nom en bas de la page "Mina M." lit-elle
avec satisfaction. Du doigt, elle caresse les lettres noires sur
blanc et elle range soigneusement le magazine, en chantonnant,
heureuse d'avoir été crue et entendue.
Mina attend avec impatience les chiffres des ventes du magazine mais
à sa grande déception, ils sont identiques à la normale. De retour
chez elle, ce soir-là, elle fait des recherches sur internet pour
lire les réactions à son article.
"un
ramassis de bêtises comme tout ce qui est écrit dans ce journal"
"la fantasmagorie d'une illuminée" « J'ai eu une
amie qui ne parlait que de Mars, elle prétendait y avoir vécu. Je
crois que c'est une secte qui cherche à recruter des adeptes. Louis
L. »
Les
larmes aux yeux, elle ferme la page et elle va se coucher. Elle reste
étendue sous la couverture, les yeux rivés au plafond couvert
d'étoiles phosphorescentes qui brillent dans le noir.
-
Je ne suis pas de ce monde et personne ne me comprend. songe-t'elle
avant de se forcer à fermer les yeux dans l'espoir que le sommeil
l'emporte.
30
ans
-
Vous comprenez, je ne suis pas à ma place, ici, dans ce monde. Comme
si mon corps était de ce monde mais ni mon esprit ou mes souvenirs,
mon savoir.
Calée
dans son fauteuil, la femme qui lui fait face acquiesce.
-
Je comprends. Avez-vous tenté de creuser la chose? Je veux dire de
chercher à confronter vos souvenirs et connaissances avec la
réalité? J'imagine que vous lisez des articles en rapport avec la
planète Mars et que vous avez des connaissances...disons, acquises.
Si vous tentiez de rencontrer des spécialistes du sujet, peut-être
que cela vous aiderait à faire la part des choses.
-
Je vais passer pour une folle! s'écrie la jeune femme.
-
Et alors? Hormis vous, moi et la poignée de scientifiques que vous
rencontrerez qui sera au courant? Cela ne vaut-il pas la peine de
tenter quelque chose? Pour savoir ce qu'il en est et aller au fond
des choses? Admettons que vous ayez raison et que vous puissiez
apporter un éclairage à ces scientifiques? Ou que vous avez tort?
Vous n'êtes sans doute pas la première qu'ils rencontreront et ils
vous raccompagneront gentillement à la porte. La question est dans
la manière de présenter votre démarche.
-
Me faire passer pour une passionnée d'astronomie, vous voulez dire?
La
femme acquiesce tandis que la jeune femme grimace avant de convenir
que c'est la meilleure chose à faire.
-
Mina, vous êtes en réorientation et vous vouliez m'interviewer,
c'est cela?
-
Oui, j'en ai pour une vingtaine de minutes, c'est gentil à vous de
me recevoir, madame Tierra. dit la jeune femme en rougissant.
Les
deux femmes s'installent dans la cafétéria déserte de la cité
spatiale de Paris tandis que le café coule et que son arôme emplit
peu à peu la pièce.
-
Trois volcans situés côte à côte en une ligne parfaite, cela vous
parle-t'il? se lance la jeune femme.
-
Oui, bien sûr. Tharsis montes. Arsia mons, Pavonis mons et Ascraeus
mons.
-
Il y a une grotte et des galeries dans ce que vous appelez Pavonis
mons.
-
Oui, on les a découvertes par hasard en 2011.
Mina
ferme les yeux pour éviter le regard de son interlocutrice et elle
continue.
-
Ces grottes sont sacrées et les explorer serait un sacrilège.
-
Un sacrilège? Les martiens ne vont pas nous attaquer pour cela,
jeune fille.
-
Vous ne comprenez pas. Une part de moi a vécu sur Mars ou croit
l'avoir fait.
-
Ecoutez-moi. Si ces lieux étaient sacrés, nous aurions trouvé des
traces de quelque chose. Des gravures, des objets, des éraflures qui
n'ont rien de naturel. Il n'y a rien sauf si les martiens sont des
êtres microscopiques. Je veux bien croire que vous y croyez mais
l'esprit humain est complexe. Comment voyez vous ces grottes? Comme
sur une photographie ou dans un film?
-
Oui, c'est ça.
-
N'avez-vous pas songé que les martiens s'ils ont existé seraient
différents de nous? Les couleurs? Leur perception des volumes? Les
images que vous voyez ne ressembleraient en rien à ce que des
martiens verraient, croyez moi. Ils sont forcément très différents
de nous même s'ils sont peut-être humanoïdes, admettons. Ce serait
comme comparer la vision d'un chat et d'un lion, par exemple. D'un
loup ou d'un chien. Proches mais deux espèces différentes.
Troublée,
la jeune femme hésite...
-
Sans doute.
-
Je ne suis pas en train de vous dire que vous êtes folle ou que vous
affabulez. Visiblement, vous y croyez mais les faits sont ce qu'ils
sont.
-
Je le sais. Que dois-je faire?-
Bien choisir à qui vous en parlez et garder un doute raisonnable sur
cette affaire. Sans doute avez-vous tort mais sait-on jamais?
-
Merci, vous me réconfortez quelque peu. Je sais que je n'ai pas rêvé
mais la science dit le contraire et je sais combien l'esprit humain
est puissant.
35
ans
-
Chers téléspectateurs, nous vous présentons Mina Martis, le nouvel
auteur en vogue dont l'ouvrage "Mina, ma vie sur Mars" a
fait un très bon démarrage en ce début de saison littéraire.
Mina, parlez-nous de comment vous est venue l'idée d'écrire un tel
récit.
Gênée,
la femme fait tourner sa bague de fiançailles avec nervosité avant
de se forcer à se calmer.
-
En fait, je ne voulais pas publier un tel récit ou partager mon
expérience à nouveau. Chaque fois que je l'ai fait, on m'a prise
pour une folle alors qu'une part de moi est intimement convaincue de
ce que j'ai vécu. Ce sont de vrais souvenirs. Il y a quelques années
maintenant, j'ai contacté la cité de l'espace de Paris sur une
suggestion du psychiatre qui me suivait à l'époque.
-
Vous êtiez suivie par un professionnel? s'étonne le journaliste.
-
Oui, je savais qu'il était soumis au secret professionnel et j'avais
besoin de savoir si j'étais folle ou non. Et je savais qu'il
m'écouterait jusqu'au bout sans m'interrompre ou éviter le sujet.
Je sais que vous allez me poser la question mais... je ne sais pas
quelle est la part du vrai ou du faux dans tout ça. Je livre mon
témoignage à mes lecteurs, libre à eux de me croire ou non.
J'espère qu'ils passeront un bon moment en compagnie de ce récit,
c'est le but premier de mon livre.
-
Merci beaucoup. C'était Mina Mars!
Les
joues empourprées, la jeune femme se lève sous les applaudissements
polis du public pour rejoindre sa loge. Là, elle s'assied face au
miroir pour se démaquiller rapidement avant de sortir dans l'air
nocturne.
-
Tu es là, je te vois. dit-elle en levant les yeux vers la planète
rouge qui luit faiblement dans le ciel. Ils ne me croient pas mais
toi et moi sommes liées à jamais.
20210805